[INTERVIEW] Le métier de consultant en webanalytics selon Julien Coquet

Cette interview est la première d'une série que j'espère la plus longue possible et dont l'objectif est de vous familiariser avec les différents métiers des statistiques. On commence tout de suite avec Julien Coquet expert en Web analytics. Notez au passage que vous pouvez le retrouver sur Twitter (@JulienCoquet) et à divers autres endroits que vous serez amenés à découvrir au fil de l'entretien.

Tout d'abord, peux-tu te présenter et nous parler de ton métier ?
Bonjour Guillaume, je m'appelle Julien Coquet et je suis consultant senior chez Hub'Sales, une agence spécialisée dans le conseil et les services web analytics et web TV. Hub'Sales est basée à Cachan et compte une grosse vingtaine d'employés. Au sein d'Hub'Sales j'ai une double activité de directeur web analytics et de consultant. En tant que directeur web analytics, je porte l'offre de services d'Hub'Sales dans ce domaine, et gère les partenariats avec les éditeurs de solution web analytics (Adobe, Google, Yahoo, WebTrends, AT Internet, Nedstat, IBM, WebTrekk pour ne citer que ceux là). En tant que consultant, j'aide nos clients à définir leur stratégie Internet à la lumière de la mesure et de l'analyse. Parmi mes tâches de consultant : définition des besoins, KPIs (indicateurs clé de performance), marquage des sites et validation des données récoltées, creation de tableaux de bord, formation et accompagnement.

Quel a été ton parcours universitaire et professionnel ?
Concernant l'informatique, j'ai souffert très tôt du syndrome Obélix : je suis tombé dans la marmite quand j'étais petit ;-) Après une maîtrise de langues étrangères et un master sur l'Amérique Latine postmoderne (si, si) et un service militaire dans l'informatique de l'Armée de l'Air (Caporal Coquet), je termine mes études par un DHET Ingénierie Multimédia et gestion de projet Web à Polytechnique Grenoble. Atypique ? Kamoulox ? :-) Sans doute, mais ca m'a permis d'étudier ce que je voulais et d'intégrer en 2001 Cap Gemini via qui j'ai notamment géré pendant plusieurs années les web analytics d'HP EMEA (Europe Asie Moyen-Orient) ainsi que de nombreux projets web et web services mais toujours avec une composante mesure et performance chère aux web analytics. En 2006, je rejoins OX2, une agence belge pionnière en Europe en terme de web analytics. OX2 est rachetée par LBi en 2008 : des projets toujours plus gros et plus intéressants. Je rejoins Hub'Sales en 2009 et je m'y épanouis, merci beaucoup ;-)

Selon toi, quelle est la voie royale pour devenir consultant Webanalytique ?
Pas de voie royale ou de cursus tout tracé mais de plus en plus d'écoles de commerce proposent une UV ou une specialisation eMarketing ou eCommerce. Je pense notamment à l'HETIC dont les étudiants nous apportent beaucoup de satisfaction car ils sont opérationnels et pertinents dès la sortie de l'école. La curiosité et l'envie de jouer avec les données est un trait de caractère quasi-obligatoire et une bonne dose de bon sens et d'esprit de déduction ne font pas de mal. Et bien entendu, il faut être passionné !

Quels conseils donnerais-tu à des passionnés n'ayant pas suivi la voie idéale pour devenir consultant ?
Je vous ai dit qu'il fallait être passionné ? ;-) La courbe d'apprentissage sur le tas est assez rude donc pas de miracle : les web analytics il faut en bouffer, comme on dit. Donc pratiquez, pratiquez, pratiquez ! Et si vous êtes allergique à Excel, Word et Powerpoint, vous pouvez abandonner maintenant !

Quelles doivent être leurs principales qualités ?
On a déjà abordé rapidement le sujet mais il vous faudra :

  • Patience: vous allez manipuler du chiffre et du tableau de bord et du plan de marquage.
  • Un sens de l'analyse et de la déduction : vous devrez interpréter des chiffres et des tendances parfois sans filet.
  • Une curiosité qui vous poussera à explorer les données, segmenter et en tirer des perles de sagesse qui se transformeront en actions d'optimisation.

Quel est le salaire de départ pour un premier poste de consultant ?
Traquenard de la question piège ! Un jeune diplômé sorti d'alternance / contrat pro et donc avec un ou deux ans de pratique semi-intensive voire intensive peut espérer un salaire parisien entre 32 et 35k€ brut annuel modulo bien entendu une part de variable sur objectif. Chez Hub'Sales par exemple, nous fonctionnons à la méritocratie et ce type de montant peut vite décoller mais ca ne marche pas partout pareil, selon que vous travailliez dans une agence, chez un annonceur ou dans une institution ou une collectivité. Après c'est comme partout, c'est sujet à négociations!

Quel est le quotidien d'un consultant en Webanalytique ? J'ai cru comprendre que la SNCF n'était pas ton meilleur allié.
Ce métier est à deux facettes: on a généralement une approche métier ou technique des Web Analytics. Cela dit, même si on se spécialise pour l'une ou l'autre des deux approches, il est bon de conserver une expérience pour le « maillon faible ». Ça permet par exemple à un expert métier/fonctionnel de bien jauger les implications techniques d'un projet et de challenger la SSII qui demande deux semaines pour marquer dix pages HTML statiques ! A l'inverse, un profil plus technique comprend les implications métier d'un plan de marquage et fera des suggestions pour enrichir un marquage qui capturerait alors plus d'informations pertinentes. Parmi les taches d'un web analyste, on retrouve :

  • L'audit : dresser un état des lieux des web analytics
  • Le recueil et la définition de besoins : faire « accoucher » le client pour mieux formaliser ce qu'il veut mesurer et pourquoi (lire la série de billets sur les métiers des web analytics sur mon blog)
  • Définition de KPIs : trouver les indicateur clé et les leviers d'optimisation
  • Plan de marquage : définir la structure de l'implémentation d'un outil de web analytics. Ca peut prendre cinq minutes comme cinq semaines selon la complexité.
  • Recette et validation du marquage: LA tache ingrate du web analyste qui fait grincer des dents ! Il s'agit de vérifier que les pages d'un site contiennent bien le bon marquage et que les rapports contiennent bien les données prévues. Vous vous souvenez pourquoi je parlais de patience comme qualité ? ;-) Heureusement, Hub'Sales propose des outils pour accélérer cette phase et passer au plus intéressant : l'analyse!
  • Analyse : si vous avez bien géré le marquage et le recettage, c'est de loin l'activité la plus intéressante car la plus riche en enseignements, qui conduiront à des optimisations ! Vous serez donc amenés à interpréter ces données et à établir des recommandations de correction et d'optimisation qui aideront votre client à booster sa performance sur Internet.
  • Tableaux de bord : un outil de web analytics suffit rarement en tant qu'interface Web. Les entreprises pensent encore en terme de rapports Excel ou PowerPoint. Vous devrez donc trouver des façons de regrouper des données de sources différentes et de les consolider dans des rapports plus ou moins sexy.

Quant à la SNCF, je voyage beaucoup car même si mes bureaux sont à Cachan, je télétravaille depuis Montélimar et rends souvent visite à mon équipe et à mes clients et donc – statistiquement – plus je prends le train, plus j'ai de chances qu'il m'arrive un truc bizarre, d'où mon invention du tag #sncfail sur Twitter ;-)

Comment expliques-tu que les instituts de sondage pourtant habitués à faire du conseil ne se soient jamais emparés de ce marché ?
Ah bon ? Regarde les cabinets comme Médiamétrie, Nielsen, ComScore et les autres : ils ont tous fait évoluer leur outil de panel vers un outil de web analytics « user-centric » qui évalue des échantillons « significatifs ». Mais ils n'ont pas du tout la même utilité que les outils de web analytics dits « site-centric » comme Google Analytics et consorts. Ils proposent aussi des services mais ils ne jouent pas dans la même cour et on les retrouvent surtout chez leurs clients historiques : les groupes médias.

NB : OK Julien, tu as tout à fait raison. Mais malgré tout, je reste assez surpris, et je ne m'explique pas pourquoi les plus gros instituts de sondage français (SOFRES, IPSOS, IFOP, BVA, CSA, OpinionWay, Harris Interactive...) n'investissent pas du tout dans ce type de conseil.

N'accuse-t-on pas un retard indécent dans ce secteur, en France ? L'éclosion du marché est-elle imminente ?
On est franchement à la traîne mais à mon sens c'est lié à deux facteurs : le manque de maturité des décideurs et le manque de ressources à niveaux intermédiaires et seniors. Mais les entreprises essayent désespérément de recruter : c'est trop peu et trop tard mais encourageant quand même.

Comment tirer parti de ce retard et se préparer du mieux possible quand on souhaite gagner sa vie dans ce domaine ?
Pas de problème : les entreprises se réveillent et recrutent à tour de bras des jeunes qui n'en veulent. C'est rassurant mais ça montre que les entreprises n'ont pas compris l'enjeu et l'investissement réel à apporter sur ce type de stratégie et donc de postes à pourvoir. Je n'ai rien contre les jeunes diplômés mais ce n'est pas forcément eux qui apporteront la plus forte valeur ajoutée. Ils viennent idéalement en soutien d'un senior déjà en poste.

Les diverses dénominations (consultant, trafic manager, analyste...) ne brouillent-elles pas les pistes auprès des entreprises ?
Complètement ! Consultant est un terme fourre-tout mais accepté (sic), trafic manager a une connotation « acquisition de trafic » trop marquée (pas assez d'analyse et n'importe qui peut acheter du trafic). Le problème en France c'est qu'on a pas vraiment de terme pour remplacer Web Analytics et le débat date de 10 ans… En France, on avait bien pensé à « Web Analytique » mais c'est une marque déposée. Si vous parlez d' « analyse web », je vous ferais remarquer qu'il s'agit de mon site communautaire sur le sujet.

Enfin, quel livre et quel site Internet conseillerais-tu en priorité pour débuter ?
Je vous conseille le livre de mon collègue et confrère Nicolas Malo « Web Analytics et Profits » co-écrit avec Jacques Warren. Vous pouvez aussi lire les livres d'Avinash Kaushik ou patienter encore un peu car son livre « Web Analytics 2.0 » va bientôt être traduit en français. Et je compte bien sortir mon livre sur le sujet – quand mon travail me le permettra !

Merci Julien !