[INTERVIEW] Le métier de consultant étude par Grégoire Hervé-Bazin

Grégoire Hervé-Bazin est l'auteur depuis 2008 d'un blog consacré au monde des études, un des très rares sites francophones traitant des problématiques relatives à l'élaboration d'enquêtes et autres études de marché : il aborde en effet tous les sujets essentiels de la discipline, des marges d'erreur aux modes de recueil, en passant par l'élaboration du questionnaire ou du rapport d'étude.

C'est donc tout naturellement que j'ai souhaité l'interviewer pour qu'il nous présente son activité de consultant étude et nous donne son point de vue sur l'actualité des sondages. Si vous êtes intéressés par les métiers du marketing, l'interview ne manquera pas de vous donner des clés pour vous lancer dans l'aventure.

Le Monde des Etudes

Pour les lecteurs qui s'intéressent à ton métier, peux-tu nous détailler ton parcours ?
Après un BAC ES, j’ai fait un Deug d’économie à la faculté de Nancy 2 puis une maîtrise de sciences de gestion à l’IAE de Nancy. C’est pendant cette maîtrise que j’ai commencé à faire mes premières études de marché. Rapidement intéressé et souhaitant en savoir plus, je me suis ensuite spécialisé dans ce domaine avec un Master 2 pro « Etudes de marché et prises de décision marketing » à l’université de Nantes puis un second master 2 (recherche cette fois) en marketing et stratégie à Dauphine afin de me spécialiser encore davantage, notamment dans les analyses statistiques.

Conseillerais-tu un autre parcours idéal pour un poste dans le milieu des études ? Et dans celui de la data visualisation ?
Pour entrer dans le milieu des études, mon parcours était effectivement efficace (je n’ai pas vraiment connu de difficultés pour trouver des stages ou des postes), mais ce n’est heureusement pas le seul ! En effet, de nombreux cursus moins « spécialisés » offrent des séminaires en études de marché (quasiment tous les cursus Marketing – en université ou en école - abordent ainsi les études de marché). D’autre part, les cursus en sociologie forment également de nombreux étudiants à manier les outils des études de marché, et, même si la finalité n’est pas forcément le marketing, je constate que beaucoup de chargé d’études viennent de la sociologie. Enfin, je soulignerai que le milieu des études est loin d’être fermé. Même sans aucune connaissance des outils des études de marché ou du marketing, un étudiant peut avoir un profil tout à fait intéressant pour apporter une autre vision des choses et sa capacité d’analyse. J’ai ainsi croisé d’excellents chargés d’étude qui venaient de cursus qu’on pourrait croire atypiques tels que le journalisme, la philosophie, les sciences politiques ou encore le sport (STAPS). Pour la data visualisation, je n’ai pas de conseil particulier à donner… car j’ignore quel parcours est majoritaire dans ce domaine. De mon côté, je suis autodidacte et en perpétuelle formation.

Tu es consultant indépendant : quel est ton statut, comment organises-tu ton planning, et où travailles-tu ?
Mon statut est plus que complexe puisqu’il est triple :

  • Je suis auto-entrepreneur, statut que j’utilise lorsqu’il s’agit de facturer des instituts ou des entreprises. Cependant, le montant de facturation est limité annuellement, j’ai donc également créé une entreprise type SARL pour contourner ce problème.
  • Je suis également salarié en CDD (vacataire) pour certains instituts qui préfèrent augmenter leur masse salariale plutôt que d’augmenter leur taux de sous-traitance.
  • Enfin, je suis auteur pour certain clients ; je cède alors mes droits d’auteurs de l’étude réalisée contre rémunération.

A noter qu’au début de mon activité, le statut d’auto-entrepreneur n’existait pas, j’étais alors en portage salarial. Mon planning est celui de tout freelance qui se respecte : très variable ! Comparé à mes horaires de salariés, la tendance est toutefois à des horaires beaucoup plus importants (entre 40 et 70 heures par semaine) et répartis sur la journée et la nuit… sans oublier les week-end et jours fériés, dont j’ai quasiment oublié l’existence ! C’est parfois difficile mais être freelance signifie apporter de la souplesse et de la flexibilité à ses clients… et c’est le prix d’une certaine liberté : travaillant à domicile, si ma journée est relativement calme (il arrive bien entendu d’avoir des journées sans travail), je peux décider de me consacrer à d’autres projets professionnels ou personnels… Et je peux facilement aller chercher ma fille à la crèche à 17h00 pour retravailler le soir, une fois qu’elle est couchée.

Tu officies également dans un domaine un peu moins connu : celui des études qualitatives. En quoi cela consiste-t-il ?
Si les études quantitatives répondent à la question « combien ? », les études qualitatives s’intéressent à la question du « pourquoi ? ». Par exemple, on mesure un taux de satisfaction avec une étude quantitative, et, avec une étude qualitative, on va essayer de comprendre les tenants et aboutissants de la satisfaction et de l’insatisfaction. Concrètement, cela consiste en des entretiens individuels (en face à face ou par téléphone) d’une heure environ ou à des réunion de groupe de 8-12 participants durant 3 heures environ. Pendant ces entretiens ou ces groupes, une discussion s’engage sur la problématique concernée. Cette discussion est bien sur animée par le chargé d’études qui utilise un guide pour ne pas s’éloigner du sujet ou pour orienter la conversation vers tel ou tel sujet. Une fois les discussions (entretiens ou groupes) terminées, il s’agit de mettre à plat les discours des interviewés puis de les analyser afin d’en tirer des rapports opérationnels et répondants à la question posée. Ces études qualitatives sont passionnantes à réaliser, beaucoup de rencontres se font, et la richesse de l’information obtenue est toujours impressionnante, ce qui fait toujours des rapports qualitatifs des véritables challenges !

Pourrais-tu nous parler d'un de tes projets préférés dans le domaine de l'infographie ?
Le domaine de l’infographie est extrêmement riche et mouvant. De nouvelles infographies apparaissent toutes les minutes sur le web et certaines sont excellentes. Je vous parlerai de deux projets :

  • Le premier projet « Executing the exos » ne concerne en rien le marketing puisqu’il s’agit d’une infographie sur les exo planètes. L’intérêt est pourtant double : ce projet est réalisé par David McCandless (et son équipe), un des papes de la discipline, mais surtout, l’ensemble du processus de création de cette infographie est détaillé sur le blog de M. McCandless. Cela permet à chacun de constater à quel point la réalisation d’une infographie est un processus complexe, créatif et rigoureux, ce que, je pense, il est nécessaire de rappeler. En effet, de nombreux clients sont intéressés par les infographies mais pensent qu’il suffit de quelques heures pour en réaliser une, alors que ce travail nécessite en général plusieurs jours voire, dans des cas extrêmes, plusieurs semaines…
  • Le second projet est « State of the Internet 2011 ». Un projet fantastique pour plusieurs raisons d’après moi : les données collectées sont très intéressantes, la mise en forme est plutôt réussie… mais surtout, il s’agit d’une infographie dynamique (qui s’actualise en temps réel) et réalisée en HTML5. D’après moi, si les infographies statiques sont un sujet d’intérêt qui explose, les infographies dynamiques sont promis à un avenir encore plus radieux : celles-ci deviennent cliquables, explorables, vivantes et actualisées en temps réel… quel client ne rêverait pas d’une telle profusion de données accessible aussi facilement et de manière ergonomique ?
Infographie sur les exo planètes

Quel regard portes-tu sur les polémiques relatives aux sondages politiques ?
Travaillant dans le milieu des études, je trouve toujours intéressant de débattre avec des collègues ou clients sur des sujets tels que la représentativité des échantillons online ou la formulation des questions… Cependant j’ai du mal à comprendre les polémiques successives que génèrent les sondages politiques dans la vie « publique » française. J’y vois deux explications :

  • La première est le manque d’éducation général du grand public mais aussi des journalistes sur les techniques de sondages, notamment sur les marges d’erreur et la formulation des questions. On assiste ainsi à des débats houleux dans la presse ou dans des café du commerce sur des résultats… qui n’en sont pas car inclus dans des marges d’erreur élevées.
  • La seconde est l’évidente facilité avec laquelle les politiciens accusent ces sondages, surtout lorsque le résultat qui les concerne est décevant… A ce titre les sondages constituent le bouc émissaire idéal des candidats déçus… qui ne peuvent pas taper sur les journalistes.

Je conseille à tous le livre « la guerre des sondages » très pédagogique et qui a le mérite de bien poser l’ensemble des arguments permettant de mieux comprendre pourquoi on peut croire aux sondages et pourquoi ils sont nécessaires. Enfin, pour paraphraser le livre conseillé ci-dessus, le conseil que je donnerai à ceux qui ont envie de « taper » sur les sondages lors d’une nouvelle polémique : que se passerait-il si on interdisait les sondages politiques ? Ne sont-ils pas un moyen de réintroduire la vision du citoyen lambda dans la vie politique et donc, in fine, un instrument de démocratie ?

Crois-tu qu'il soit encore possible d'éduquer les journalistes et d'informer le grand public malgré la désinformation ?
J’avoue que la fréquence des polémiques me décourage parfois. Cependant, j’ose espérer un enseignement à la lecture des sondages dès le plus jeune âge, dans les écoles, lors du cours d’éducation civique, car les sondages font partis de la vie citoyenne. Bien entendu, cela semble difficile à réaliser. Peut-être faut-il chercher du côté des instituts ? Ceux-ci devraient encore davantage insister sur les précautions à prendre lors de la lecture des résultats. En poussant très loin cette logique, on pourrait imaginer que les instituts ne communiquent plus des taux d’intention de vote (16% pour X) mais des intervalles d’intention de vote (entre 13% et 19% pour X), ce qui aurait permis, par exemple, de mettre en évidence le passage de M. Le Pen au deuxième tour en 2002. On parle beaucoup de publications des résultats bruts, non redressés pour montrer aux lecteurs le travail des instituts sur les résultats. Je ne suis pas forcément pour, tout simplement car cela rajouterai de la confusion dans l’esprit des gens et serait relativement inutile… voire dangereux car sous-représenterait le poids des extrêmes dans les intentions de vote. Bref, aujourd’hui les techniques de sondages politiques par téléphone sont rôdées, les sondages par Internet semblent de plus en plus crédibles, le prochain défi de la profession vient donc effectivement de la diffusion des résultats trouvés et de la pédagogie à y apporter. La solution ne me paraît pas prête d’être trouvée, surtout si, à chaque élection, les candidats déçus s’acharnent sur les sondages et jettent à nouveau le doute sur leur fiabilité (alors même que ces candidats sont les premiers à les commander et à les lire).

Quels sont tes sites et tes blogs de référence ?
Sur le sujets des études, il y a bien entendu ton blog, Statosphere, un des rare blog qui publie fréquemment des analyses efficaces et poussées sur des sujets variés. D’autres blogs sont intéressants sur les études (mais leur fréquence de publication sont moins intense) : j’aime beaucoup les blogs de Daniel Bô, PDG de quali quanti sur la sémiologie, le brand content et les méthodologies d’études. Il y a aussi le blog du PDG de Repères, ou celui du PDG d’Init Marketing. Cela dit, peu s’intéressent uniquement aux méthodologies, c’est une des raisons qui m’a poussé à la création de mon blog. En termes de Marketing, les blogs sont légions, mais j’ai tendance à les trouver trop orientés sur le online marketing. Toutefois ils restent intéressants à lire pour se tenir au courant des nouveautés. Ici, je jette fréquemment un œil aux 10-20 premiers blogs classés dans le Top Wikio en marketing. Enfin, en infographie / infoviz / représentations visuelles, il existe de nombreux blogs. Mes références :

  • As map, très régulièrement mis à jour, une bonne base de données d’idées
  • Infosthetics qui présente de très belles infographies
  • Information is beautiful de David McCandless, le fameux blog d’une équipe d’infographistes qui livrent infographies et tips sur la construction de celles-ci
  • Visualizing.org, un recueil d’infographies
  • Infographic news, comme son nom l’indique
  • Visualising Data, très intéressant également pour des réflexions sur des infographies existantes, des interviews, des conseils. Un très bon blog.
  • Flowing Data que j’affectionne tout particulièrement, bon mélange entre des infographies et des explications
  • Fell in love with data, davantage centré sur des interviews, ou sur des notes écrites et explicatives, que sur des infographies en images
  • Enfin, chandoo.org s’intéresse à la création de graphiques originaux et efficaces… sous Excel