Le jugement majoritaire est-il dangereux pour la démocratie ?
Publié par Guillaume Main dans le dossier Analyse | 12 septembre 2011
L'édition française de Slate se faisait récemment l'écho du jugement majoritaire, statuant qu'il s'agirait d'un système de vote novateur et préférable pour la démocratie, et n'hésitant pas à qualifier notre actuel suffrage universel direct de "scrutin très contestable". Pour étayer sa démonstration, le magazine mettait en ligne un sondage sous forme d'application invitant les lecteurs à évaluer chaque candidat à la Primaire socialiste.
Voici la note explicative (et pour le reste de l'argumentaire, je vous renvoie à l'article de Slate) : « Un seul choix par candidat. La mention majoritaire est celle qui réunit plus de 50% des voix en y additionnant les mentions qui lui sont supérieures. Par exemple, un candidat qui reçoit 10% d'[à rejeter], 10% d'[insuffisant], 20% de [passable], 20% d'[assez bien], 30% de [bien] et 10% de [très bien] a 40% de votes égaux ou supérieurs à la mention [bien] et 60% égaux ou supérieurs à la mention [assez bien] : sa mention majoritaire est donc [assez bien]. »
Le moins qu'on puisse dire, c'est que ce mode de scrutin (pour une élection) ou ce mode de recueil (pour un sondage) fait largement débat. S'il convient d'admettre que l'idée est, sur le papier, pour le moins séduisante, il est nécessaire néanmoins d'envisager avec précaution tous ses tenants et aboutissants.
Une méthodologie de sondage largement éculée, en réalité
Dans le cadre d'un sondage, ce mode de recueil en ligne tel qu'il est présenté par Slate.fr présente un premier problème grave et essentiel : on nous demande de répondre à une question posée absolument nulle part ! Vous pouvez vérifier : si les six propositions de réponses et les six candidats sont bien mis en évidence dans l'application, nous ne savons pas quel aspect de notre opinion doit être mesuré. Difficile dans ces conditions d'analyser quoi que ce soit en retour.
Par ailleurs, le caractère novateur de cette technique doit être largement relativisé puisque le "jugement majoritaire" est en tout point similaire à une des méthodes utilisées depuis des décennies dans les études de marché.
A cet égard, il est très largement reconnu et important de rappeler que l'ordre des items d'une liste joue un rôle non négligeable lorsqu'il s'agit de sonder la population. Les instituts de sondage ont l'habitude de procéder à des "rotations", permettant ainsi d'évacuer un biais technique parfaitement identifié et connu de la profession. Dans le cas présent, le journaliste Jean-Marie Pottier affirme s'être contenté de présenter les candidats "dans l'ordre dans lequel ils ont été classés par le PS"...
Enfin, en ce qui concerne l'aspect purement technique, l'application de Slate présente un grave déficit de précautions : il est facile de constater qu'il est en effet possible de voter plusieurs fois. Les instituts de sondage, tant décriés, savent évidemment déjouer ce problème : les panels d'internautes imposent aux sondés de s'identifier pour qu'ils puissent accéder à leur compte personnel. Leurs identifiants (nom, prénom, mot de passe par exemple) sont convertis en une clé d'entrée unique excluant le risque de doublon, et garantissant l'anonymat des sondés pour la phase de dépouillement.
De plus, compte tenu du contexte amplement réprobateur à l'égard des instituts, il n'est pas vain de rappeler qu'un sondage est représentatif de la population qu'il interroge. Dans le cas présent, le sondage se voudra éventuellement le reflet du lectorat de Slate (si on omet bien sûr de prendre en compte le biais technique introduit par la possibilité de voter plusieurs fois).
Un mode de scrutin qui serait évidemment novateur
Quittons la sphère des méthodes de sondage et plaçons nous dans l'éventualité d'une véritable élection démocratique. Dans ce contexte, le jugement majoritaire (appelé aussi vote par assentiment) est forcément novateur puisqu'il ne serait apparemment utilisé que pour l'élection des comités de mathématiciens.
Il se révèle à certains égards séduisant puisqu'il permet de s'affranchir de certaines contraintes inhérentes au suffrage universel direct, comme par exemple :
- de mettre plusieurs candidats à égalité si on ne sait pas les départager
- de s'exprimer même si aucun candidat ne nous convient
- de ne s'exprimer que sur un nombre limité de candidat etc...
Mais cette méthode de vote relativement complexe ne pourra fonctionner qu'à la condition que tous les votants la comprennent entièrement. Le cas échéant, ils douteront automatiquement de la validité des résultats.
Nous pourrions être tentés, comme énième système de vote alternatif de proposer aux électeurs de classer les candidats selon un ordre de préférence. Mais d'une part, ce système ne permettrait pas d'évaluer l'écart de sympathie entre deux candidats au sein de chaque classement et puis, d'autre part, cela introduirait un autre biais connu sous l'appellation de Paradoxe de Condorcet.
Mais le jugement majoritaire est également dangereux
Précédemment, nous avons évoqué le jugement majoritaire comme méthodologie appliquée dans certaines études de marché. En fait, ce point constitue un problème en soi sur le plan philosophique, puisqu'il s'agirait d'appliquer une méthodologie marketing à des préoccupations démocratiques.
La dangerosité du jugement majoritaire réside également dans le fait que ce type de scrutin n'enlève en rien une certaine plaie qui fausse les résultats depuis de nombreux septennats / quinquennats : la notion de vote "utile" (au détriment de la sincérité et du vote de "conviction"). Avec ce système, cela reviendrait par calcul à "rejeter" le favori des sondages et à évaluer "très bien" son propre favori. Si chaque électeur procédait de la sorte, les deux candidats favoris se neutraliseraient et un troisième candidat seulement "passable" ou "assez bien" émergerait suffisamment pour remporter le scrutin.
Dans le même ordre d'idée, avec une telle méthode, on dénature la valeur intrinsèque de l'élection présidentielle : choisir le meilleur candidat, un et un seul, pouvoir le choisir certes en fonction des autres candidats, mais sans avoir l'obligation de les évaluer tous pour communiquer son choix. Les notions de "parti" et de "sympathisant" seraient dès lors mises à mal : on ne voterait plus pour un programme politique mais pour une compilation de propositions, piochant ici et là les idées correspondant à nos préoccupations propres.
Enfin, dans la pratique, ce type de scrutin apporterait de nombreuses complications quant à sa mise en application : investissement dans des machines à voter, risque de panne, de fraude électronique, nécessité impérative de pouvoir vérifier l'algorithme du programme informatique etc...
Lorsque le citoyen s'exprime dans l'urne, le suffrage universel fonctionne
Finalement, la volonté de changer à tout prix de mode de scrutin peut paraître singulière. Car après tout, lorsque les citoyens votent, le suffrage universel direct fonctionne à la perfection. Comme l'explique un récent article du Monde Diplomatique : « l’abstention perturbe le fonctionnement du système représentatif d’où les gouvernants tirent leur légitimité. (...) Les comportements abstentionnistes contredisent la mythologie de la démocratie représentative ». Un aspect important du problème est celui de la non prise compte et de la non valorisation des votes blancs dans le calcul global des pourcentages exprimés, incitant plusieurs millions d'électeurs à préférer l'abstention. D'autre part, il ne faut pas occulter le fait qu'une frange non négligeable de la population cherche absolument par tous les moyens à bâillonner les extrêmes.
Au passage, ironie du sort, le mode de scrutin tel qu'il existe aujourd'hui joue forcément en faveur de la future majorité présidentielle, puisque c'est ce mode de scrutin qui lui aura permis d'accéder au pouvoir. En conséquence de quoi, il reste quand même très peu probable qu'une majorité le modifie en cours de mandat, au risque de déséquilibrer les forces électorales.
Si je concède que ce scrutin est intéressant sur le plan expérimental, j'avoue que je l'imagine difficilement s'extraire de la sphère des sondages (et de celle des comités de mathématiciens, donc). Pourtant, elle pousserait sans aucun doute les journalistes dans des analyses politiques plus complexes, sortant enfin des sentiers battus et de la sempiternelle bipolarité droite / gauche.
Allez, moi aussi, je me lance dans l'élaboration de concepts novateurs. On pourrait enfermer les candidats de la Primaire socialiste dans un loft : chaque semaine, les téléspectateurs élimineraient le candidat qu'ils aiment le moins... Ou les faire participer au maillon faible ? Plus sérieusement, comment ne pas voir dans ces manœuvres une sorte de gigantesque foire d'empoigne où chacun envisage un système bidouillé mais permettant à son candidat de gagner les futures élections présidentielles ?
Commentaires
Je recommande aussi la lecture du livre "principes du gouvernement représentatif" de Bernard Manin ... le suffrage universel électif en prend pour son grade ! :)
Merci pour ce conseil de lecture, et pour ceux que ça intéresse, voici un lien Amazon vers l'ouvrage. :-)
Quel était exactement votre commentaire sur leur site, est-ce qu'il n'a pas été accepté pour le fond ou pour la forme ?
Les deux, je crois... Mes trois commentaires ont été modérés par Slate.fr, mais après m'être entretenu avec l'auteur de l'article, c'est le côté trop "promotionnel" de mes commentaires qui a visiblement déplu (j'avais mis un lien vers mon article).
Sorry, my French is up to reading this article, but not responding. I know it's rude to respond in English, but it would probably be ruder still to subject you to my execrable written French.
It is absolutely false to claim that voters would ""rejeter" le favori des sondages et à évaluer "très bien" son propre favori". That is only sensible if polls show that your favorite has some chance of winning. In fact, for the large majority of voters, the most strategic and powerful vote is simply an honest evaluation of the candidates. At worst, strategy would mean raising or lowering your overall standards in response to the quality of the frontrunner candidates.
Majority Judgment is not a flawless system, but it is a very good one. Creating imaginary flaws that it doesn't have, just because you don't understand game theory, is not helpful.
"That is only sensible if polls show that your favorite has some chance of winning", which is particularly the case in France ! Every day, many polls are published concerning the election to come : each mass media has got its own barometer of public opinion and uses it daily.
How would you force voters to be honest ? If one candidate is just "assez bien" but better than the others for someone, what would stop him from voting "très bien" ?
It's because I understand the rules subtilities that I can point the flaws. By the way, the purpose of this blog is precisely to deal with these subjects (polls, pros & cons...).
Bonjour,
je ne suis pas vraiment convaincu par votre argumentaire.
Si je reprends le plan de votre papier (excusez-moi du résumé approximatif, mais c'est ce qu'il ressort de ma lecture):
1. La procédure ne fait pas l'unanimité : bon, soit.
2. Méthodologie éculée : vous comparer la procédure à celles utilisées pour des sondages. L'ambition de la procédure est de s'appliquer au corps électoral. De plus, Évidement que dans le cas de l'étude de Slate il y a des biais, et ceux que vous relevez seraient aussi présent pour d'autres procédures qu'aurait pu appliquer Slate.
3. Mode de scrutin novateur. Là, pas grand chose à redire, je suis d'accord avec ce que vous dites. Cela dit, selon moi, vous oublié le point fort de cette procédure : la minimisation du vote stratégique (je dis minimisation, car il y a un théorème qui dit que dans une procédure déterministe il y a toujours du vote stratégique, c'est-à-dire qu'une partie du corps électoral ne va pas voter pour ce qu'elle veut, c'est par exemple le cas avec le phénomène du vote utile).
4. La procédure dangereuse. Là, je ne suis pas du tout d'accord avec ce que vous dites. Sur le vote utile, justement, il y en aurait beaucoup moins. C'est même une des procédures dont on démontre qu'elle en produirait le moins. Évidement, il faut lire la preuve, ce qui nécessite un peu de connaissance en math. Mais tout le monde utilise des objets techniques dans la vie courante (même pour des choses importantes) sans en connaître tout les rouages.
De plus, oui, ceux qui ne veulent pas réfléchir trop peuvent voter à l'ancienne, en mettant "très bien" à leur favori, et "à rejeter" aux autres. Où est le problème ? Ils perdent juste l'occasion de s'exprimer davantage. Et que certains rejettent le favori des sondages et que le vainqueur soit élu avec la mention "passable" n'est pas non plus négatif. Cela traduit une vérité, celle que l'élu n'est pas plébiscité. Cela évite le maquillage qui se produit au second du scrutin actuel.
Dernier point : "philosophiquement", "on ne vote plus pour un programme politique". Non, effectivement, cela donne un résultat plus riche. Je ne trouve pas cela grave non plus. Du reste, cette procédure donne tout de même lieu à un seul vainqueur. Le fait qu'il tienne compte ou non de l'information donnée par cette procédure est un problème indépendant de celle-ci.
Sur les aspects techniques, je ne suis pas d'accord avec vous non plus : c'est quand même pas le bout du monde à organiser un tel truc. Il faut juste mettre des croix dans des cases. Ok, le dépouillement sera un peu plus pénible. Si on envisage l'introduction de machines, par exemple avec des bulletins à perforer, ou bien des cases à noircir, ça parait quand même faisable. Honnêtement.
5. "Lorsque le citoyen s'exprime dans l'urne, le suffrage universel fonctionne" : ben justement, le suffrage universel ne fonctionne plus. On est régulièrement à 40% d'abstention. Il n'est pas sur que ce nouveau mode de scrutin modifie à court terme la chose, mais je ne vois pas pourquoi ca serait un argument pour la rejeter.
De manière générale, je pense que cette procédure à l'avantage de donner l'opportunité aux gens d'exprimer d'une manière beaucoup plus riche que la procédure actuelle.
Après, on peut s'interroger sur la nécessité d'avoir un président de la république, ou même d'avoir des représentant. C'est évidement un autre débat, mais ça serait pour moi la seule raison de ne pas s'intéresser à cette procédure.
Et désolé pour les horribles fautes d'orthographe. J'aurais du plus me relire !
Bonjour,
Je voudrais réagir aux arguments contre le jugement majoritaire en lui-même, indépendamment de cet exemple d'application, mais plutôt dans l'optique d'un usage en tant que remplaçant du mode de scrutin actuel pour les présidentielles.
Les critiques que vous lui faites sont les suivantes :
— l'ordre des items aurait une influence sur les électeurs : j'ai envie de dire : ce qui est affirmé sans preuve peut être nié sans preuve. Et puis je pense que, surtout dans le cas d'une élection présidentielle, on subit déjà tellement d'influences pendant les deux derniers mois que ce n'est pas l'ordre des candidats sur le bulletin qui changera quoi que ce soit aux opinions des citoyens. A ce compte-là, on peut aussi citer comme influence les couleurs observables dans le bureau de vote : et si l'on y voit des chaises bleues, ne serait-ce pas une incitation à voter à droite ?
— Il faut que tous les votants comprennent la méthode de vote : il me semble qu'un citoyen qui ne peut pas comprendre le fonctionnement d'une grille comportant une ligne par candidat et une colonne par appréciation ne mérite pas sa carte d'électeur. Le droit de vote se mérite au moins un minimum et ça me paraît bien normal : le but du suffrage universel est de donner une légitimité au président et de représenter la diversité des opinions du peuple avec justesse. Ce n'est pas de laisser n'importe quel manant incapable de comprendre un tableau participer à la politique du pays.
— C'est une méthode appliquée dans le marketing, donc on fait du marketing, donc c'est mal : le jugement majoritaire n'est pas une méthode propre au marketing. Ce n'est rien de plus qu'une grille d'appréciation comme on en trouve dans de nombreux questionnaires de satisfaction un peu partout... (pour les sites internet, pour des événements, pour des prestations)
Il faut bien sûr juger le mode de scrutin dans le cas qui nous intéresse, l'élection présidentielle, et non sur la base des usages qui en sont faits ailleurs.
— Le vote utile continue d'exister dans le jugement majoritaire : c'est vrai aussi pour le vote de valeur que je soutiens, mais c'est en fait vrai pour tous les systèmes. Voter utile, c'est voter contre ses convictions par calcul, et on ne pourra jamais empêcher qu'un citoyen fasse semblant de soutenir un candidat qui fait consensus de peur que son candidat préféré ne gagne pas et laisse la place à la mauvaise personne. Par contre, on peut favoriser l'expression d'un vote de conviction. Avec un vote de valeur, je peux donner +2 à mon candidat préféré et rejeter tous les autres, sauf le candidat favori que j'estime le moins pire à qui j'accorderai un peu plus (-1, 0, +1 ou +2 selon où je souhaite placer le curseur entre utilité et conviction).
— On dénaturerait l'élection présidentielle en votant pour plusieurs candidats et non pour un programme politique unique : et si plusieurs programmes politiques pouvaient s'approcher de nos convictions ? Et si la politique ne se résumait pas à des partis ayant tous des programmes totalement disjoints ? La nature de l'élection présidentielle ne serait-elle pas au contraire de faire que l'on arrive à concilier au mieux les souhaits de tous les citoyens pour obtenir un gouvernant qui est reconnu légitime par la plus grande proportion possible de la population ?
— La mise en application devant se faire obligatoirement par informatique, cela entraînerait un tas de problèmes : je suis bien d'accord et suis contre le vote électronique. Mais le site consacré au vote de valeur que j'ai indiqué dans la case site web (mais qui ne m'appartient pas) explique mieux que moi qu'il est tout à fait possible de mettre en place le vote de valeur avec des bulletins papier et de procéder au dépouillement sans faire intervenir le moindre ordinateur.
— Le système actuel fonctionne très bien, le vrai problème, c'est l'abstention en raison de la non prise en compte du vote blanc : le système actuel a pourtant de nombreuses limites, citons notamment l'impossibilité de concilier vote utile et vote de conviction, l'élection d'un candidat majoritaire quelles que soient les oppositions qui pèsent sur lui, l'expression limitée de l'électeur qui ne peut rien préciser sur les candidats pour lesquels il n'a pas voté (alors qu'il a sans doute des préférences parmi eux). Quant à la prise en compte du vote blanc, justement, elle serait résolue dans un vote de valeur, et permettrait même de nuancer la signification de ce vote (-2 à tous les candidats si c'est un vote blanc signifiant, comme souvent, que personne ne convient ; 0 à tous si l'électeur estime que tous les candidats peuvent convenir indifféremment ; +2 à tous si l'électeur estime qu'il est impossible de départager les candidats tant ils ont tous de bonnes idées — on peut toujours rêver !).
— C'est la foire d'empoigne, chacun essaie d'envisager son système bidouillé pour gagner : le jugement majoritaire et le vote de valeur présentent des atouts qui ne sont pas particulièrement destinés à faire gagner un parti particulier et doivent être comparés indépendamment du paysage politique actuel.
Bonjour mti131 et champignon98,
- Mti131, vous mélangez un peu tout et vous déformez mes propos. Oui, l'ordre des items a une influence, mais nous sommes dans le cadre d'un sondage. C'est bien dans ce contexte que je critiquais le travail de l'auteur de Slate qui a d'ailleurs convenu que cet aspect posait problème. Pour ce qui est d'avancer des affirmations sans preuve, je vous rappellerais ce que je rappelle dans ces cas là : ce site est un blog dans lequel il y a une multitude d'articles relatifs aux sondages, à leurs techniques et méthodologie. J'ai déjà abordé de nombreuses fois les biais impactant un sondage et celui là en fait parti (au même titre que la formulation exacte de la question ou la tonalité des questions la précédant). Le principe de rotation des items est vieux comme la technique de sondage. Quoi qu'il en soit, je vous laisse faire vos recherches ou persister dans vos certitudes.
- C'est certain : on peut déterminer les électeurs ne méritant pas leur carte d'électeur à partir d'une multitude de critères subjectifs (pourquoi ne pas envisager une loi interdisant le droit de vote aux citoyens de plus de 80 ans, ou aux citoyens ne s'étant pas exprimé durant deux scrutins consécutifs ?). Les manants apprécieront mais je reste convaincu qu'un bon système de suffrage repose sur une méthode interdisant le doute technique quant à la façon de répondre aux questions.
- Il y a une différence entre "voter POUR un candidat" et "voter pour des candidats tout en votant ostensiblement CONTRE les autres" (oui, ostensiblement, puisque cela revient à demander explicitement aux citoyens d'exprimer leur désaccord avec un ou des candidats). Pourtant, on rabâche bien aux électeurs qu'il faut voter pour, et non contre, des idées, qu'on souhaite abolir le vote contestataire. Or, il y a un côté télé réalité qui m'embête et qui consiste à éliminer celui qu'on ne veut pas voir rester dans la course pour le château. Ensuite, effectivement, l'approche marketing du système me dérange. Mais, soit, je veux bien admettre que cela traduit un ressenti qui n'est que le mien.
- Par calcul, on peut aussi soutenir un candidat en lui donnant +2. Cela n'exclue donc pas le risque d'un vote par stratégie. Là encore, il faut remettre dans le contexte : l'auteur de Slate affirmait que le système interdisait le vote par calcul. Le fait est que c'est faux.
- Si plusieurs programmes politiques pouvaient approcher nos convictions, et qu'on avait la possibilité de voter pour chacun d'eux, alors le système devrait prévoir d'en élire plusieurs. Car avec le système du vote majoritaire, on continue de n'avoir qu'un seul programme élu à l'issu du suffrage. Les programmes disjoints resteraient disjoints et le gouvernant reconnu légitime par une telle élection n'appliquerait que son propre programme puisque le système ne l'obligerait pas à tenir compte des autres tendances. Et d'ailleurs, on a vu ce que donnait le principe "d'ouverture" dans un programme politique : c'est de la poudre aux yeux. L'équation semble très simple : pour que deux programmes politiques soient applicables, il faut deux candidats au sommet du pouvoir. Je crois qu'il faut rester pragmatique : si le principe est de n'élire qu'un seul candidat à la présidence, alors il faut voter pour le programme qui nous convient le plus. Enfin, on a déjà constaté ce que donnait deux idéologies à la tête de la France : ça s'appelle la cohabitation et c'est loin d'être profitable. D'ailleurs, le constat est mathématique : aujourd'hui, les deux programmes qui s'opposent et rassemblent le plus d'intention de vote sont deux programmes antagonistes (on aurait pu imaginer qu'il s'agisse de programmes appartenant à des familles politiques moins éloignées).
- Les problèmes rencontrés avec l'informatique seraient essentiellement liés à la phase de recueil et non à la phase de dépouillement. Je vous ferais constater d'ailleurs que c'est justement l'humain et le papier qui sont à l'origine des fraudes actuelles. Par contre, comptabiliser mécaniquement des votes en fin de journée s'avèrent techniquement bien moins compliqué que d'élaborer un dispositif qui serait (j'insiste) compréhensible par tous et non perfectible.
- Vous n'obligerez jamais un candidat à appliquer une politique qui ne correspond pas à ces convictions... Faut être lucide ! Cela deviendrait imaginable si le système imposait l'élection de plusieurs gouvernants à la tête du pays : on ferait appliquer les idées plébiscitées par chacun des candidats. Mais concrètement, si deux idées hautement plébiscitées sont antagonistes, comment fait-on ? Par ailleurs, l'abstention est un rejet de la classe politique dans sa globalité. Je doute très fortement qu'il y ait parmi les abstentionnistes des gens appréciant un candidat. Et donc certes, il faudrait voter pour des idées et non pour des hommes : or, ce n'est pas ce que propose le vote majoritaire. Mais encore une fois, on ferait comment au bout du compte ? On prévoit une instance au dessus du Président de la République dont la mission serait de vérifier la bonne application d'une compilation de mesures issues de plusieurs programmes ?
- Au sujet des capacités intellectuelles de nos concitoyens, je vous invite à tester quelques questions de culture générale sur des citoyens "piochés" au hasard dans la rue... Je vous préviens : le résultat est atterrant.
Merci d'avoir maintenu le débat malgré l'ancienneté relative de l'article. Je me demandais si vous réagiriez.
Je reprends les différents points en les numérotant cette fois, pour plus de facilité :
1) J'ai déjà entendu parler de l'influence de l'ordre des questions dans les sondages et je suis justement en train de me renseigner sur le sujet avec un bouquin du président d'OpinionWay. Il n'en demeure pas moins que je pense que l'élection présidentielle est un sujet qui passionne tant que les électeurs ont beaucoup de temps pour se faire une opinion et la renforcer, aussi je pense que cette influence-là n'est pas centrale dans le débat relatif au mode de scrutin des présidentielles.
2) Un vote de valeur laisse certes à deux électeurs ayant les mêmes convictions la possibilité de répondre de différentes façons. Mais je pense que ces écarts de comportement se compensent dans une certaine mesure : dans le cas du vote de valeur, si un électeur minimise ses soutiens en n'attribuant que des +1, il y a fort à parier qu'il minimisera ses rejets à coups de -1. Le message n'est pas déformé par rapport à un bulletin uniquement composé de -2 et de +2. Enfin, le mode de scrutin actuel laisse aussi des doutes quant à la façon de voter, qui me semblent autrement plus problématiques : quand on se satisfait également de plusieurs candidats, lequel choisir ? Quand on veut signaler son soutien à un candidat minoritaire tout en exprimant sa préférence envers l'un des candidats favoris sur l'autre (ce qui est rendu possible dans un vote de valeur), vote-t-on utile ou vote-t-on par conviction ? Quand on n'a pas de préférence pour un candidat particulier mais une hostilité certaine pour l'un deux, que vote-t-on ? Quand on pense qu'aucun candidat n'est crédible, s'abstient-on ou vote-t-on blanc tout en sachant que ce vote est un faux vote blanc puisqu'il sera comptabilisé dans les suffrages non exprimés ?
3) Vous interprétez différemment les vote pour (positifs) et les votes contre (négatifs), mais cela revient juste à une somme de points. On peut très bien, si cela vous gène, enlever les votes négatifs et utiliser une échelle de notation de type 0-1-2-3-4. Les résultats seront nécessairement positifs mais le classement obtenu sera le même et les écarts seront respectés. En revanche, une telle échelle sème le doute quant à la signification du 2 : « candidat moyen » ou « indifférent » ? Le 0 est plus clair et plus pédagogique pour signifier l'indifférence.
Qui a parlé d'abolir le vote contestataire ? En quoi est-ce une mauvaise chose ? Je comprends votre analogie avec la télé réalité et le marketing mais je vois surtout dans le vote contestataire la possibilité pour les citoyens d'exprimer le plus fidèlement leur opinion, ce qui permet une démocratie toujours meilleure. Le fondement de la démocratie n'est-il pas de permettre aux citoyens de désigner leurs gouvernants le plus fidèlement possible à leurs opinions ? Il me semble qu'aujourd'hui, on en est loin...
Et pour vous donner un exemple de l'intérêt du vote contestataire, être élu avec 51% de citoyens favorables et 49% de citoyens totalement hostiles ne revient pas au même que d'obtenir 40% de votes très favorables, 11% de votes favorables et 49% de votes neutres. Dans un vote de valeur, le candidat qui obtient 51% de votes favorables ne sera pas forcément élu car les votes hostiles pourront diminuer son score et permettre à un autre candidat, plus consensuel, de remporter l'élection malgré des soutiens moins marqués.
4) Nous avons tout dit sur le vote utile : il sera toujours possible. Reste que le vote de valeur présente au moins l'atout de laisser davantage de choix aux électeurs entre utilité et conviction.
5) Vous semblez certain que l'on devrait rester indéfiniment dans une situation où les programmes des différents partis s'opposent tous les uns aux autres. Si l'UMP et le PS, pour ne citer qu'eux, ont des programmes totalement opposés et tant de soutiens, c'est peut-être qu'ils suscitent beaucoup d'hostilité dans le camp adverse. Peut-être qu'un vote de valeur éliminerait donc ces deux partis et donnerait vainqueur un autre parti plus consensuel. Très clairement, un vote de valeur pénalise les clivages et favorise une démocratie de rassemblement. Je pense donc que la situation que vous présentez ne se posera pas : on n'aura jamais besoin de deux présidents pour représenter le peuple, car le candidat élu par vote de valeur ne pourra pas appliquer un programme qui déplaît à une trop grosse partie de la population. Élire deux présidents, ce serait souligner un échec : l'incapacité du système de regrouper les citoyens, condamnés à rester opposés quasi équitablement dans un éternel clivage.
Quant à votre volonté de pragmatisme : pourquoi ? Quel est le rôle de l'élection ? Désigner coûte que coûte un candidat en forçant simplement les électeurs à n'en choisir qu'un ? Ne serait-ce pas plutôt de faire en sorte que les citoyens soient représentés par un unique candidat qui correspond le mieux aux aspirations de tous ?
6) Un ordinateur de vote, de par sa constitution, ne peut assurer au citoyen sans l'ombre d'un doute que son vote est bien compté, qu'il est anonyme, et qu'aucun vote n'est ajouté ou retiré. Même si les statistiques que nous possédons indiquent qu'aucun problème n'a jamais été relevé durant cette phase de recueil, le simple fait que le citoyen ne puisse pas s'assurer de ces choses élémentaires me semble discriminant. Le vote de papier est en revanche contrôlable de bout en bout par tout citoyen sans requérir de qualifications particulières. Même si des fraudes existent, elles sont toutes nécessairement déjouables si les scrutateurs font bien leur travail.
7) Je ne comprends pas votre propos sur ce point : il n'est pas question d'obliger des candidats à gouverner différemment de leurs convictions...
Concernant votre question sur le plébiscite de deux candidats aux idées antagonistes, encore une fois je pense que le problème ne se posera pas dans un vote de valeur puisque les électeurs de ces candidats seront mutuellement hostiles et donc diminueront le poids de ces candidats dans l'élection. Si toutefois l'un d'eux la remporte, ce sera le plus consensuel, toujours dans une logique de rassemblement plutôt que de clivage.
Sur l'abstention, je reformulais votre propos, je ne pense pas au contraire que l'abstention soit un problème en soi. C'est à mon avis simplement le signe que le système de vote actuel ne permet pas d'exprimer son vote de façon fidèle à ses opinions (et peut-être aussi effectivement un rejet de la classe politique). Quant au vote pour des idées plutôt que pour des hommes, il faudrait alors totalement changer le système, avec par exemple des mandats impératifs, mais c'est un autre débat...
8) Je me rends bien compte qu'il y a une disparité énorme entre le niveau de réflexion des différents électeurs, mais c'est là encore un autre débat, celui sur le suffrage universel... S'il n'est pas parfait, peut-on en trouver un moins pire ?
A regarder, cela répond en grande partie à vos interrogations.
Messieurs Michel Balinski et Rida Laraki au College de France.
http://www.college-de-france.fr/sit...