Règle d'or : n'attendez jamais rien en retour d'un journaliste...

Il existe un sport national en France, celui de solliciter bénévolement les consultants. Et à ce sport, les journalistes sont d'excellents compétiteurs. Au départ, il s'agit de ne poser qu'une question innocente (ou deux). Mais en réalité, il est déjà trop tard. Le pied glissé dans la porte entrebâillée, certains journalistes réalisent d'un seul coup l'aubaine que ce serait si vous aviez l'obligeance de leur dicter le contenu d'un papier, et d'autres vous trouvent mesquins dès lors qu'il est question d'argent.

Voici un florilège de mes diverses expériences, toutes plus ou moins malheureuses, avec des journalistes de tout poil dont je n'ai plus de nouvelle (et ne comptez pas sur la classique carte de vœux du mois de janvier pour garder le contact).

Tendez leur la main, ils vous arrachent le bras...

Et ne vous le rendent pas, à l'instar de ce sympathique journaliste d'un nouveau magazine intitulé We Demain dont la première parution a probablement eu lieu en avril 2012.

"Dans ce cadre, je prépare un sujet sur les métiers de demain. Autrement dit, les professions en devenir qui auront la cote dans les prochaines années. Je souhaiterais y inclure le métier de statisticien créatif, que vous évoquez sur votre blog. Pensez-vous qu'il s'agisse d'un choix judicieux et si oui, seriez vous d'accord pour en discuter rapidement par téléphone ? Je souhaiterais notamment savoir si cette activité est déjà pratiquée à l'heure actuelle."

Alors, pourquoi pas ? Après une bonne heure de conversation téléphonique, mon interlocuteur semblait rassasié. Tant mieux, j'avais au moins la satisfaction du service rendu. Quelle contrepartie ? Le dossier au format .pdf et mon nom dans l'article. Je sollicitais enfin de la part de mon interlocuteur qu'il m'envoie le magazine par la poste, en échange de quoi j'y aurais consacré un papier tout entier. La réponse est nette :

"Malheureusement, nous nous limitions à transmettre les articles en PDF aux (très nombreuses !) personnes contactées pour leur réalisation. We Demain étant un mag-book de 250 pages (12€), nous ne pouvons pas l'envoyer à chacun d'entre-eux... Vous pouvez vous procurer le titre en librairie (dont FNAC, Virgin...), ainsi que dans certains kiosques et maisons de la presse."

Par charité, je me suis gardé de confronter le prix du magazine au tarif horaire d'un consultant indépendant...

Dire du mal des sondages fait vendre

En septembre 2010, j'étais contacté sur Facebook par une journaliste de France 3. Pourquoi Facebook ? Mystère : je suis sur Twitter, je propose un formulaire de contact sur Statosphere et je ne fais pas état de mon activité professionnelle sur mon profil Facebook. Quoiqu'il en soit, la journaliste souhaitait me rencontrer dans les locaux de la chaîne, en prévision d'une interview et d'un reportage sur les méthodes de sondage. Or, à l'époque, cette proposition coïncide avec la polémique suscitée par des sondages contradictoires (la position de la commission européenne vis à vis de l'expulsions de roms). L'objectif de la journaliste est clairement de me sous tirer des aveux de manipulation sur la façon dont sont élaborés les sondages. Naturellement, lui prouver par A+B que le premier biais d'un sondage est l'interprétation qui en est faite par les journalistes n'a pas joué en ma faveur. Aucune nouvelle : deux heures de pédagogie pour... rien.

Plus récemment, je m'entretenais au téléphone avec un journaliste de France 24 en prévision d'une interview publiée sur le site de la chaîne de télévision. Il était question d'un sondage "honteux" d'Harris Interactive qui qualifiait Marine Le Pen au second tour des élections présidentielles, nous sommes alors en mars... 2011. Au menu : la validité des sondages en ligne, et l'influence des résultats sur le vote des électeurs. Alors, bien sûr, on fait un effort de pédagogie : on réexplique, on illustre, on argumente. Par ailleurs, le titre est ambigüe : on ne peut pas affirmer que le vote en 2012 sera un reflet des sondages... de 2011. Bilan : une heure de conversation téléphonique et un backlink de France24.com récolté.

On ne parle pas des trains qui arrivent à l'heure

En novembre 2010, un journaliste de l'Express que je connaissais de plus longue date sur Twitter, me contactait au sujet du "dossier médical personnel" (DMP), un projet ministériel. À cet égard, il me transmettait un rapport sur les "hospitalisations dues aux effets indésirables des médicaments". Tout l'enjeu était de déterminer le sérieux de l'enquête, sachant qu'il serait bien plus intéressant de parvenir à démontrer l'invalidité de l'étude.

"Salut Guillaume, je ne sais si tu es en congé aujourd'hui. J'ai un petit conseil à te demander... ;) Je t'explique le contexte : une étude de santé sur les risques de mauvaise prescription sert de justification principale au DMP. Cette étude semble bizarre : choix aléatoire des établissements médicaux, faible nombre de l'échantillon, mais je n'y connais rien en fait... :) Et si ça passe dans l'Express je pourrai te citer ?"

Je me mettais rapidement au boulot et je pondais une note d'une page sur une étude à propos de laquelle je tentais par tous les moyens de démasquer l'indémasquable. Bien qu'elle se permettait quelques extrapolations, l'étude était globalement cohérente. Réponse de mon commanditaire officieux :

"Dans l'ensemble tu valides l'étude, ce que je souhaitais vérifier car c'est l'un des principaux arguments de justification initial du dossier médical personnel (...). Hélas, du coup je ne peux évoquer la question (on ne parle pas des trains qui arrivent à l'heure). Mais j'aurai l'occasion de te citer ultérieurement, c'est promis (surtout sur des stats ou des méthodes de sondages douteuses)."

Je suis patient : après tout ce n'était qu'il y a un an et demi.

Et en vrac...

Je repense à cette journaliste de l'ONISEP qui devait m'interviewer pour la brochure consacrée aux métiers de la statistique. Ce fut extrêmement laborieux : la journaliste n'avait pas compris les consignes, confondait les numéros de téléphone et n'était pas ponctuel. Cerise sur le gâteau, je me suis entendu dire que "le conseil n'est pas un [vrai] métier" : les consultants apprécieront... Ce fut également l'occasion d'entendre une quantité non négligeable de raccourcis et de poncifs sur mon métier. Heureusement, ça n'a pas occulté l'excellent travail mené par l'ONISEP et la Société Française de Statistique.

Ou encore cette journaliste de LCP qui souhaitait m'interviewer pour un reportage sur la médiatisation des sondages : une belle opportunité... mais planifiée quelques jours avant Noël. Et malheureusement, quand il est difficile de se rendre disponible, il ne faut surtout pas compter sur la flexibilité des journalistes.

Terminons tout de même sur une note extrêmement positive grâce à un journaliste de France Culture. Il était question de participer à une émission de type talk show consacré aux modèles prédictifs. Rien à redire : avenant, aimable, arrangeant, intéressant et surtout, professionnel ! De quoi donner le vertige !