Gros plan sur le lobby anti-sondage français

Dans la jungle des détracteurs de sondage, il est parfois difficile de distinguer les propos réellement éclairés de ceux grossièrement mensongers. Alors que les uns cherchent à conseiller, améliorer, diffuser les bonnes pratiques en matière de réalisation de sondage, les autres entretiennent la polémique et distillent un argumentaire dénué de toute technicité.

Mais le pire, c'est qu'en analysant la stratégie de ces polémistes, on démasque rapidement une certaine propension à satisfaire leurs intérêts propres. Il ne s'agit donc pas de perfectionnistes amoureux du sondage bien fait : en pratique, ils développent une obsession, quasi maladive voire une haine viscérale, du sondage d'opinion et n'ont strictement aucun bagage technique.

Dressons le portrait de ce lobby anti-sondage, plus organisé qu'il n'y parait.

La super caste des professeurs d'université

Ils s'appellent Alain Garrigou, Loïc Blondiaux, Jean-Louis Loubet del Bayle ou Daniel Gaxie, ils sont professeurs de "science" politique et grands pourfendeurs de la cause sondagière. Dans leur entourage, on compte d'éminents politologues, sociologues et quelques professeurs en "science" de l'information et communication. Pour défendre leur thèse à l'encontre des instituts de sondage, ils se contentent de ce qu'ils savent faire : ils dissertent, écrivent des livres, s'organisent en association, tiennent des conférences et parlent, parlent beaucoup. Leur obsessionnelle lutte contre l'industrie sondagière n'a d'égal que cette volonté d'afficher ostensiblement leur couleur politique (à l'instar du sociologue Loïc Wacquant appelant à soutenir Ségolène Royal en 2007). On en vient dès lors à comprendre pourquoi leur cheval de bataille n'a trait qu'aux sondages d'opinion, exclusivement, alors que ceux ci ne représentent qu'à peine 10% de l'activité des instituts.

Leur façon de présenter les éléments à charge vise systématiquement à mettre le journaliste, le politique et l'institut de sondage dans le même panier. On ne sait plus qui fait quoi, mais ce n'est pas grave : on nous exhorte à adhérer à la théorie du "tous coupables". L'important est de paraphraser Pierre Bourdieu ou Jean Stoetzel, et surtout de faire parler de soi. À grand renfort de name dropping, la plupart d'entre eux parvient à disposer de sa propre fiche personnelle sur Wikipedia. Mais en plus, ils n'hésitent pas à polluer la page "sondage d'opinion" de leur auto-promotion propagandiste sur l'encyclopédie en ligne. Sinon une remarque, sans doute naïve mais tout de même : où sont les statisticiens ?

Recycler le même discours jusqu'à l'infini

Organisés en groupuscule, ces professeurs et autres sociologues ne brillent pas par l'originalité de leur discours et la paraphrase est un exercice de tous les instants. Toutes leurs références évoquent directement leurs propres assertions : ils recyclent un argumentaire largement éculé dans lequel les mêmes noms reviennent en boucle. Ce mode de communication en circuit fermé est un bon moyen de préserver un discours pourtant passablement bancal. Ainsi lorsque le discours se veut riche et documenté, on réalise rapidement qu'il se contente de s'appuyer sur d'anciens articles postés sur d'obscurs sites ayant les mêmes obsessions.

Dans leur communication, ils aiment jouer à qui fera la plus belle figure de style : ils délivrent un discours servi par eux même pour eux même, et se délectent des "prosopopées", "doxosophes" et autre "paralogisme" : bien qu'ils s'exaspèrent du jargon scientifique, ils n'hésitent pas à s'enticher d'un vocabulaire emphatique, nuisant volontairement à la clarté du débat. Dans cette logorrhée incessante, quelques raccourcis malhonnêtes en profitent pour se glisser, ici ou .

Ils ne sont d'ailleurs plus à un dérapage prêt lorsque l'illuminé François Asselineau cloue Harris Interactive au pilori en affirmant que l'institut de sondage est "présidé par une femme sélectionnée par la Maison Blanche et le FBI". Vous avez bien lu : la théorie du complot à la sauce X-Files est bel et bien une composante du discours. Naturellement, Asselineau se délecte des articles de Jacques Le Bohec ou Alain Garrigou lorsqu'ils sont postés sur Rue89 ou l'Observatoire des Sondages. Au passage, observons toute l'animosité du très susceptible (et sur la défensive) Jacques Le Bohec, à l'égard d'un billet de Gilles Klein, journaliste à @rrêt sur images. S'il ne possède plus de page Wikipedia (un aperçu est consultable dans les archives du Web), le professeur dispose néanmoins d'une magnifique page de fan sur Facebook.

On notera que les détracteurs s'emploient consciencieusement à énumérer des faits percutants visant à éclairer une conspiration : seul problème, les faits en question sont systématiquement censés "parler d'eux même", ne s'accompagnent d'aucune démonstration et ne découle d'aucun raisonnement logique. Nous allons d'ailleurs voir qu'ils ne s'entourent jamais du moindre spécialiste technique...

Aucune contribution utile au débat technique

Les détracteurs ne font jamais le moindre travail d'analyse statistique : ils fournissent des éléments aléatoirement, certains peuvent susciter la curiosité, d'autres sont d'une banalité affligeante et dénotent leur profonde méconnaissance des techniques de sondage. Ils relatent des chiffres, des discussions, mais l'analyse qui en découle est d'une pauvreté anémique. De fait, devant cette propension à ne jamais aborder la technicité des sondages (mais à toujours critiquer leur "scientificité"), et bien qu'ils se disent vaguement favorable à la présence de "spécialistes" au sein d'une nouvelle commission des sondages, on se demande si ce lobby serait enclin à s'entourer de gens compétents.

Naturellement, lorsque les méthodologies sont évoquées, ils préfèrent se délecter du discours approximatif et rarement convaincant des directeurs d'institut de sondage dont la visibilité est maximale dans les médias et ignorer le discours des "techniciens", plus rationnel, moins sensationnel et surtout, moins à leur portée. Plus grave : ces sociologues et professeurs de science politique revendiquent l'inutilité du bagage technique et se révèlent totalement incapables d'être force de proposition sur un sujet touchant à l'élaboration d'un indicateur de mesure sociologique. Ainsi, bien qu'il s'agisse paradoxalement de professeurs d'université, ils ne s'inscrivent ni dans la construction ni dans la pédagogie. Leur discours se limite à dénoncer sans explication : encore une fois, les mots semblent censés parler d'eux même. Ils n'ont pas plus la "culture" de la lecture du rapport de sondage que le lecteur moyen : on s'en tient aux papiers des journalistes, et tant pis si le rapport de l'institut offre un éclairage supplémentaire quant à la méthodologie embarquée (dernier exemple en date : la primaire socialiste de 2011).

Enfin, ils apparaissent extrêmement mal informés. Par exemple, sur le prétendu scandale de la rémunération des panélistes, on mélangera tout : loterie, attribution de points cadeaux, tests de produits, coupons de réduction... Soulignons que ces récompenses ne concernent pas seulement les sondages d'opinion, ni seulement les sondages en ligne et qu'elles existent depuis plusieurs dizaines d'années. De même, maîtrisent-ils réellement la notion de marge d'erreur ? Car s'il est vrai que la taille de l'échantillon entre dans le processus du calcul, il ne faut pas oublier que les pourcentages mesurés en sont également une composante. En tout état de cause, le très critique Observatoire des sondages semble avoir des lacunes en la matière comme le prouve l'exemple suivant : les fameux 7% évoqués sont totalement fantaisistes puisque la marge d'erreur se situe en réalité entre ±1.3 et ±6.5%.

Uncle Sam, le lobby anti-sondage français

De l'art d'infiltrer les médias intimistes

Mais là où ce lobby gagne ses lettres de noblesse, c'est par sa faculté à infiltrer les moyens de s'exprimer librement. À défaut de pouvoir profiter d'une tribune qu'on ne leur propose pas, ils affichent librement leur bourrage de crâne sur Agoravox, Wikipedia ou Le Post, et se font publier sur Rue89, Direct Soir ou Mediapart. À l'abri des grands médias, ils délivrent ainsi leur discours jusque dans les amphithéâtres des universités.

La page Wikipedia consacrée aux "sondages d'opinion" est d'ailleurs un bel exemple de propagande, agrémenté d'une belle démonstration de name dropping dont ils sont spécialistes. L'auto-promotion bat d'ailleurs son plein dans la section bibliographique. Truffée d'approximations, d'avis personnels (ce qui est évidemment proscrit sur une encyclopédie aussi libre soit-elle), l'utilisation quasi systématique des adjectifs indéfinis "certains" ou "certaines" traduit leur difficulté à dispenser un discours crédible et documenté. Les références sont d'ailleurs bien trop insuffisantes et la fiche regorge de nombreuses affirmations sans preuve.

Plus embêtant : la page est truffée d'erreur factuelle ! Jérôme Sainte-Marie n'est plus directeur de BVA Opinion depuis mai 2008 (pourtant la dernière mise à jour date de mars 2011). Rappelons enfin, comme nous l'avons vu précédemment, que le lobby anti-sondage français trouve un relai en la personne de Asselineau, fondateur d'un parti politique au programme pour le moins... douteux.

Une utilisation minimaliste et mal assumée de l'outil Internet

D'emblée, il apparaît clairement que le lobby ne souhaite en aucun cas entrer dans le débat : Wikipedia ne permet pas réellement d'amorcer le dialogue, et fait marquant : sur leurs sites et autres blogs, non seulement les articles sont fermés aux commentaires mais en plus, ils ne sont que très rarement signés (malgré des mentions légales rappelant, qu'en cas de reproduction, le nom de l'auteur original doit être cité). Tout un symbole ! À ce propos, notons que la plupart des détracteurs n'ont toujours pas saisi l'intérêt du lien, essence même du Web, et excellent vecteur de référencement et réputation : ils délivrent de longues tirades sans le moindre lien hypertexte. Pire : derrière le collectif Sondons les Sondages, il est juste impossible d'identifier explicitement la moindre personne morale.

Autre aspect caractéristique de leur frilosité à confronter leurs idées : à une ou deux exceptions près, ils désertent littéralement les réseaux sociaux. Lorsqu'ils s'exposent sur Twitter (comme l'Observatoire des Sondages), ils ne rassemblent qu'une poignée de followers et se comportent comme s'ils étaient seuls (aucune interaction avec les followers, lisent-ils leurs replies ?). Ils sont dans la complainte perpétuelle. Certes, ils construisent - maladroitement - des lieux où évoquer leur combat mais ne parviennent pas à rassembler les foules parce qu'ils sont bien plus dans la dissertation que dans la démonstration concrète et pragmatique.

Dès lors, quand on maîtrise à ce point si mal un média comme Internet (à l'instar de Pierre Maura qui découvrait le principe du sondage en ligne en 2007), est-on crédible lorsqu'il s'agit d'en critiquer la pertinence en tant que mode de recueil (sempiternel cheval de bataille du lobby anti-sondage) ? Pour comprendre les enjeux d'Internet, ne serait-il pas plus réaliste et honnête de l'avoir approché ? Comment peuvent-ils à la fois avoir un avis péremptoire sur le média et se vanter de le connaître aussi mal ?

Les spécialistes du biais idéologique et d'autocomplaisance

Loïc Wacquant (signataire de "l'appel des 100") est un des spécialistes du biais idéologique : peu honnête dans le débat, il est accusé de déformer les textes, tronquer les citations jusqu'à faire dire le contraire d'une idéologie et ne pas faire de recherche sur les livres qu'il critique. De même, si Alain Garrigou peut éventuellement se targuer d'être un "spécialiste de sociologie électorale", il est en revanche totalement improbable de le créditer de "spécialiste des sondages", en particulier lorsqu'on a lu "L'ivresse des sondages" : pour rester gentil, disons que tout y est approximatif, incomplet ou déformé. Les amalgames sont légions et la lecture confine finalement à la manipulation intellectuelle. Saupoudrez l'ensemble d'un ton perpétuellement suffisant et complaisant, et vous obtenez un essai hautement indigeste.

Complaisance, voire même... autocomplaisance. La super caste des professeurs d'université dont il fait parti met en exergue cette tendance à attribuer la causalité de leur réussite à leurs qualités propres. Le meilleur exemple en est l'Opiniongate's Blog, ce site édifié à la gloire du professeur Garrigou, empêtré dans un procès en diffamation qu'il allait "évidemment" gagner.



Bien entendu, plus les sujets sont sensibles et polémiques, plus ils sont exposés à des contestations. Pour autant, il est frappant de voir comment s'articule cette caste qui a tout d'un lobby : un groupe de pression qui tente d'influencer les réglementations (commission des sondages), qui favorise ses propres intérêts (politiques notamment), des membres issus d'une structure informelle mais du même secteur d'activité (professeurs d'université), participant à des groupes d'étude, organisant des conférences, s'entourant d'avocat (Opiniongate's Blog) etc...

En définitive, il est certain que chaque section de cet article aurait mérité un billet à part entière. Mais en l'état, ce portrait du lobby anti-sondage français n'est qu'une ébauche que je serais certainement amené à enrichir dans les mois à venir. En tout cas, à toutes fins utiles, je ne saurais que trop vous conseillez de préférer les analyses du Dr Panel sur Rue89, ou celles de Daniel Schneidermann, fondateur d'@rrêt sur images, autrement plus rigoureuses et dignes d'intérêt.