Comment un récent sondage IPSOS donne tort à la HADOPI
Publié par Guillaume Main dans le dossier Analyse | 30 septembre 2009

Le 23 septembre dernier, l'institut IPSOS jetait littéralement un pavé dans la mare avec la publication sur leur site des résultats d'une enquête traitant entre autre, du téléchargement illégal. La dépêche AFP relatant cette étude ne fut vraisemblablement qu'assez peu relayé par les médias de masse, tant les conclusions de ce sondage allaient à contre courant de l'argumentaire asséné par les pro-HADOPI et par nos deux derniers ministres de la culture depuis près d'un an.
Pour commencer, voici un premier point rarement précisé mais qui a son importance : le terrain de cette étude a en fait été mené entre janvier et février 2009, c'est à dire bien avant les débats parlementaires portant sur les différents volets successifs du projet de loi HADOPI. Il est donc très improbable que ces débats (durant lesquels furent évoquées une éventuelle portée pédagogique du projet et la peur de l'internaute pour son caractère répressif) aient eu une quelconque incidence sur les réponses des internautes sondés.
À l'instar de toute enquête réalisée dans les règles de l'art, il est bon de rappeler les méthodes utilisées :
- Connections est une enquête internationale réalisée dans 12 pays par Ipsos MediaCT, la filiale d'Ipsos dédiée aux marchés des médias et des nouvelles technologies.
- Le terrain s'est déroulé sur Internet entre janvier et février 2009
- 6521 individus ont été interrogés (environ 1000 individus aux USA et 500 dans tous les autres pays)
- Pour chaque pays, l'échantillon est construit en respectant la méthode des quotas (âge, sexe, critère géographique). Chaque échantillon est donc représentatif de la population des internautes du pays considéré.
Les sujets abordés par l'étude sont :
- la consommation de musique
- la consommation de vidéo (au sens large : TV, sport, films...)
- la consommation de jeux vidéo
- la consommation de support physique : achat ou location, en ligne ou en magasin
- le téléchargement et le streaming : sur des plates-formes gratuites ou payantes, officielles ou non officielles
Nous pouvons désormais joyeusement entrer dans le vif du sujet.
1/ Les français NE SONT PAS les champions du monde du piratage
Le 10 mars 2009, Christine Albanel (alors Ministre de la Culture), pratiquant l'emphase avec une verve inouïe, affirmait par voie radiophonique, sur RMC : "Nous sommes les champions du monde du piratage". Ne cherchez surtout pas une quelconque justification ou ne serait-ce qu'une source sérieuse et fiable qui aurait permis d'illustrer la crédibilité de l'affirmation. Car, en l'occurrence, l'enquête d'IPSOS est loin de confirmer cela. Pire : elle établit pratiquement l'exact contraire. Sur les 12 pays concernés par l'étude (France, UK, Espagne, Allemagne, Italie, USA, Japon, Chine, Brésil, Emirats Arables Unis, Russie et Inde), la France se place en 9ème position sur le secteur musical et en 8ème position sur le secteur de la vidéo. Je ne résiste pas à la tentation de vous montrer cet histogramme, assez éloquent :

% d’internautes déclarant se rendre au moins une fois par mois sur des sites non officiels pour télécharger ou écouter de la musique ou des vidéos (source)
La SACEM espagnole y est également allée de son affirmation faite maison en accusant son pays d'être la championne du piratage. Le Canada a également eut son heure de gloire dans ce qu'il adviendrait d'appeler la grotesque valse des affirmations non vérifiées, en étant à son tour désigné comme LE champion du monde.
Par ailleurs, et pour être tout à fait complet, il est bon de rappeler qu'Albanel avait finalement pris soin de préciser que son affirmation ne prévalait que pour les pays "comparables", admettant probablement par ce biais que la Chine est bel et bien la championne toute catégorie. Sauf que même dans cette optique, les français se montrent moins adeptes du piratage que les italiens, les américains ou les espagnols.
Un autre aspect est en parfaite contradiction avec les fumeuses théories de l'industrie culturelle et de certains de nos politiques : selon eux, plus la connection Internet est rapide, plus elle constitue une incitation au téléchargement illégal. Mais deux contre-exemples sont connus et reconnus : le Japon, profitant d'une des meilleures infrastructures de réseau Internet au monde grâce notamment à la fibre optique, n'est pas un mauvais élève, tandis que la Russie, subissant un réseau très hétérogène et dépassant péniblement le premier mégabit, caracole à la seconde place juste derrière la Chine.
2/ Les pirates français consomment illégalement MAIS AUSSI légalement
L'enquête contredit une fois encore l'argumentaire pro-HADOPIste et confirme ce que bon nombre de blogueurs rabâchent depuis des mois et des mois : les jeunes pirates achètent davantage de musique que la moyenne des internautes, qu'il s'agisse de consommation en ligne ou en magasin. Selon IPSOS, si les pirates sont effectivement en partie responsables de la baisse des ventes de disques ou de vidéos, ils sont aussi les principaux consommateurs de musique et de films.

Extrait du communiqué de presse "Téléchargement légal et illégal sur Internet" (format PDF)
Kirsten Bartels, directrice du département Industrie/Services (Ipsos Marketing Allemagne), est d'ailleurs habitée d'une candeur touchante puisqu'elle rappelle à l'industrie du disque et du cinéma que ce profil de consommateurs devrait constituer leur cible marketing de prédilection. Manque de bol, ces consommateurs sont justement ceux dans la ligne de mire du projet de loi HADOPI, et des diverses ripostes graduées à l'étranger.
3/ Si les pirates ne téléchargent pas, alors ils n'achètent pas NON PLUS
Si les pirates n'avaient pas la possibilité de télécharger illégalement des morceaux de musique, les achèteraient-ils pour compenser ? La réponse est clairement non. Les pirates français estiment à 32% qu'ils ne les auraient pas écoutés, ou qu'ils auraient emprunté le CD (42%). Sur le marché du contenu vidéo, la tendance est moins marquée, les pirates étant relativement disposés à investir les salles de cinéma (30%). Pour autant, ils préfèrent encore majoritairement emprunter le DVD (33%) ou faire l'impasse sur le film (25%).

Extrait du communiqué de presse "Téléchargement légal et illégal sur Internet" (format PDF)
En définitive, les résultats de l'enquête Connections réalisés par IPSOS corroborent une autre étude, réalisée par TNO aux Pays-Bas et à l'issue de laquelle il était donc possible, en substance, d'en tirer les mêmes conclusions : l'étude montre que le partage de fichiers est bénéfique et fortement positif à court et à long terme économiquement parlant. Le partage de fichiers fournit aux consommateurs l'accès à un éventail de produits culturels très large, ce qui est également largement bénéfique.
Ce qu'on retiendra, c'est que la France se situe bien en dessous de la moyenne du taux de piratage mondial. Par ailleurs, l'étude confirme que ceux qui téléchargent illégalement ne consomment pas moins de produits culturels payant que ceux qui ne téléchargent pas, mais pire, ils en consomment plus (cinéma, concert...) ! Naturellement, ces enquêtes sont perçues comme autant d'effroyables démons venant défaire l'insidieux argumentaire gouvernemental, qui est lui-même soufflé par une industrie culturelle méprisante.
Quelques sources :
- Le communiqué de presse de IPSOS (format PDF)
- L'article du 17 avril 2009 sur le site de IPSOS
- L'article du 23 septembre 2009 sur le site de IPSOS
- La dépêche AFP du 18 septembre 2009 (archivée par Google)
- La dépêche relayée par le Nouvel Obs et Ouest France
- Les résultats de l'enquête TNS Sofres parus le 8 mars 2009 sur le site de Metro
- Le rapport de l'étude réalisée par TNO (format PDF)
- L'extrait de l'interview de Christine Albanel sur RMC
Commentaires
Mouais.
1-2) "téléchargement gratuit sur un site non officiel " ? = pirate ? Si les questions sont posées comme ça ... Les questions d'Ipsos valent bien les réponses de Mne Albanel. C'est quoi un site officiel? le site de l'éditeur, de l'artiste, itunes ... et puis le gros des échanges amha se font sur p2p : si je télécharge une musique gratuite (libre tant qu'à faire) je ne suis ni sur un site, ni officiel, ni dans l'illégalité.
3) “disposés à investir les salles de cinéma (30%).” 34% visiblement?! donc majoritaire "voir au cinéma". Toutes les autres propositions supposent une attente plus ou moins longue >6 mois achat DVD, TV .. (L’option "emprunte " étant certainement la plus longue); autant dire : "si j'avais vraiment envie de le voir sans attendre et sans télécharger illégalement je serais allé au cinéma. Mais là j'extrapole :p
Si tu t'adresses aux gens en parlant de plate forme P2P et de site "pirate", c'est soit trop technique, soit trop spécifique. Je suis convaincu qu'une minorité d'internautes savent ce qu'est le P2P. Par ailleurs, un site non officiel n'est pas automatiquement un site pirate, et les gens ne savent pas forcément reconnaître le caractère pirate d'un site...
@guillaume
Il aurait fallu parler de 'téléchargement illégal' comme dans la question (3) au moins ça supposait que la personne interrogée avait conscience de l'illégalité (y compris d'ailleurs si en pratique c'était légal) c'était sans ambiguité sur le piratage. "un site non officiel n'est pas automatiquement un site pirate" c'est exactement ce que je disais... On peut rien en tirer de ce résultat.
OK je comprends. Encore que l'intitulé n'est pas "téléchargement sur un site non officiel" mais "téléchargement GRATUIT sur un site non officiel". Crois-tu qu'on en est encore à devoir expliquer aux gens que la musique téléchargeable gratuitement est illégale ? Je pense que la compréhension de la question ne se trouve pas tant dans l'opposition non officiel / officiel que dans l'opposition gratuit / payant.
Par ailleurs d'autres questions sont beaucoup plus explicites, notamment celle-ci par exemple :
- et si nous n’aviez pas téléchargé de façon illégale, qu’auriez-vous fait ?
@guillaume Ce qui est gratuit n'est pas forcément illégal, en particulier le gratuit est un 'modèle économique' très pratiqué sur internet, ça porte à confusion cette question, surtout à destination d'interanutes. (je peux télécharger gratuitement dans itunes par ex, pour être plus explicite) Si on ajoute le terme : 'officiel', déjà assez flou, j'imagine qu'il n'a pas culturellement tout à fait la même résonance en france qu'en chine par ex. ...mais je peux me tromper.
oui, d'autres questions sont plus explicites (3, effectivement) c'est ce que je commentais. Il se trouve que le résultat 3 n'est pas vraiment un bon exemple pour affirmer que "Si les pirates ne téléchargent pas, alors ils n'achètent pas NON PLUS", c'est ce que je commentais aussi. 34% seraient allé au cinéma (éventuellement, car la question est posé ainsi : Si...). Le 'éventuellement' ne permet pas d'affirmer quoique ce soit, même si on peut estimer que la réponse majoritaire (aller au cinéma) à un poids plus important.
Je ne suis pas vraiment d'accord...
A la question "et si nous n’aviez pas téléchargé de façon illégale, qu’auriez-vous fait ?", l'ordre des réponses est le suivant :
1/ je serais allé au cinéma
2/ j'aurais emprunté le DVD
3/ j'aurais acheté le DVD
4/ je n'aurais rien fait
5/ j'aurais attendu sa diffusion à la TV
6/ j'aurais loué le DVD
7/ j'aurais payé pour le voir en streaming
On constate que le téléchargement illégal se substitue en priorité au cinéma et au prêt du DVD. Or, ni l'un ni l'autre n'est l'acte d'acheter physiquement quoi que ce soit : mon analyse, c'est que les internautes qui téléchargent illégalement ne souhaitent pas acquérir physiquement quelque chose dont ils ne connaissent pas le contenu. Pour moi, la conclusion à en tirer c'est que les pirates sont plus disposés à aller au cinéma et à emprunter un DVD qu'à acheter un DVD, s'ils n'ont pas pu préalablement s'assurer de la qualité du contenu.
Par ailleurs, à cette question, les choix induisant un paiement sont en position :
1 / 3 / 6 / 7
Et les choix induisant l'absence de paiement sont en position :
2 / 4 / 5
Je pense que le cinéma est un cas à part car au delà du film à proprement parlé, il s'agit d'un loisir partagé, qui induit une sortie, qui repose sur un bouche à oreille très immédiat, qui garantit des critères de qualité (fauteuil, grand écran...), qui n'induit pas l'acquisition physique d'un objet qu'on pourrait potentiellement ne pas aimer et enfin, qui est tout simplement deux à trois fois moins cher qu'un DVD.
Aucune des autres propositions ne rassemblent chacun de ses points.
Je me demande qui cela étonne , De toute facon quasiment l'ENSEMBLE des justifications de la loi hadopi ne sont pas recevable car basé sur des estimations complètement fantaisistes de pertes supposés pour les ayants droits.
Depuis quand 1 téléchargement = 1 perte sèche ?
Bonjour,
je vous mets 2 liens ci dessous. Un billet en VF et un article du Guardian en VO.
Il y est rassemblé des chiffres de ventes par type de bien culturel de 1999 à 2008 en Grande Bretagne. Le journaliste arrive à la conclusion que les jeux vidéos bouffent le budget musique des consommateurs.
On remarquera aussi que la vente de DVD augmente et se maintient ensuite durant les 9 années considérées.
Extrait:
"On assiste à un changement important des habitudes de consommation. Le porte-monnaie du consommateur étant limité (ça ne fait pas de mal de le rappeler), celui-ci se retrouve confronté à un choix. Aujourd'hui, "la réalité est qu'on peut choisir entre un jeu vidéo à 40 euros qui durera plusieurs semaines et un CD à 15 euros avec deux bons morceaux et huit autres ratés". Dans ces conditions, "beaucoup de gens choisissent d'acheter les jeux et téléchargent les deux chansons." CQFD
Lire le billet en français :
http://www.lesmotsontunsens.com/ind...
article du Guardian qui a inspiré le billet :
http://www.guardian.co.uk/news/data...
Powned ! Là, mec, je te respecte mais t'imagines même pas. Cité chez Korben, invité chez Read Write Web, c'est trop trop la classe.
En tout cas, ce sondage est édifiant bien que démontrant (avec les chiffres qui étaient absents jusqu'à présent) ce que l'on savait déjà.
c'est vrai que le "Gratuit / non officiel = illégal" peut donner à penser que le raccourci est abusif et scandaleux (je pense à la musique libre en particulier)
Mais en même temps il faut voir que le public visé ne sait peut être pas ce qu'est le libre, et en outre peut être que le "officiel/non officiel" se rapporte à un même morceau donné.
Par exemple sur le dernier Madonna, si je le télécharge gratuitement quelque part c'est probablement pas très légal, je pense qu'il faut plutôt comprendre la question comme ça.
Quoi qu'il en soit, le sondage nous rappelle deux choses que l'on savait déjà :
1- on nous prend vraiment pour des cons
2- c'est passablement justifié (au moins jusqu'en 2012 ;)