Web Analytics : du bidouillage à tous les étages ?

Malgré mon affection pour le Web Analytics, il faut bien admettre que cette discipline n'en est encore qu'à ses balbutiements : alors que ces outils se révèlent bien souvent inadaptés aux enjeux du Webmarketing, il est à déplorer qu'ils nécessitent également de fortes compétences en langage Web, dès lors que l'on souhaite mesurer autre chose qu'une visite ou une page vue.

Ainsi, s'il est relativement simple de tracker du contenu Web en PHP et HTML, il est en revanche beaucoup moins automatique de mesurer la fréquentation d'un site e-commerce, d'un site en full Flash, d'une page de réseau social ou d'une vidéo uploadée sur un site de streaming.

L'innovation par la segmentation du marché des outils Webanalytics

Si, globalement, les outils se donnent pour mission de mesurer sensiblement la même chose, ils tentent également par tous les moyens de se distinguer de leurs concurrents.

Le taux de rebond est un bon exemple de débat qui agite la communauté Web Analytics : en effet, selon les outils utilisés, son calcul et son utilité ne font pas l'unanimité. Clicky a d'ailleurs pris le parti d'intégrer le "temps passé sur site" dans le calcul du taux de rebond. Google Analytics se concentre quant à lui plus particulièrement sur les enjeux de la rapidité des sites Web en mesurant le chargement d'une page. At Internet propose de structurer les pages en chapitres et met des outils d'ergonomie à la disposition de ses utilisateurs. Reinvigorate ou Woopra (et encore Clicky) font le pari du Web temps réel en proposant à ses utilisateurs d'observer l'activité du site tracké à l'instant présent, pari sur lequel Google Analytics fait d'ailleurs totalement l'impasse. De même, de plus en plus d'outils adoptent leur propre service d'URL raccourcies (Goo.gl, Clicky.me...). D'autres proposent des outils analysant les logs de serveur (Urchin, Crawltrack, AWStats) et d'autres encore s'emploient à "mesurer" le comportement du visiteur (Clicktale, Mouseflow, Clickheat).

Ainsi, chaque outil apporte à sa façon une "innovation", jamais véritablement majeure, mais suffisante pour entretenir la segmentation du marché. En cela, aucun outil n'est encore parvenu à proposer un éventail exhaustif, ou, en tout cas, à centraliser les bonnes idées du moment. Naturellement, de la diversité naît la richesse, mais quand un Webmaster envisage d'implémenter au moins deux outils Webanalytics (voire même trois ou quatre) pour son confort d'analyse, c'est à se demander si la diversité ne devient pas contreproductive et l'innovation anecdotique. Signalons tout de même la pertinence de certaines innovations à l'image du Multitouch Analytics dont il est de plus en plus question ces derniers temps.

L'interopérabilité sacrifiée sur l'autel de la concurrence

L'interopérabilité entre les plus grands du paysage Web est un mirage, pour ne pas dire une utopie : de fait, vous aurez par exemple toutes les peines du monde à mesurer votre page Facebook avec Google Analytics, les solutions proposées n'étant que des rustines suggérées par la communauté de développeurs. On l'aura compris : Facebook n'a aucun intérêt à faciliter la tâche à Google et préfère proposer son propre outil de mesure de fréquentation, contribuant à l'augmentation du nombre d'outils à consulter pour avoir une vision globale de son audience. Yahoo n'est pas en reste ni Twitter qui tarde à officialiser son outil d'Analytics.

Aussi devient-il presque indispensable d'étudier chaque API, même si celles-ci deviennent bien trop rapidement obsolètes : Facebook, Twitter, Foursquare, les différents type de campagnes (emailing, publicité, affiliation)... Même Google tardent à uniformiser ses outils : Adsense, Adwords, Feedburner et Webmaster Tools (mais pas encore Youtube...) ont mis du temps à être intégrés à la solution de Google, sans parler du calvaire qui en résulte pour associer "proprement" tout cela. Ce manque de réactivité, d’anticipation montre toute la difficulté qu'ont les plus grands à homogénéiser leurs propres outils entre eux, sans parler des spéculations sur l'avenir des outils : la dépendance à une seule solution suscite une inquiétude grandissante. Une fois de plus, le bon exemple nous vient de l'open source avec Piwik, dont la communauté se veut active et l'action pertinente (en tout cas cohérente et transparente), en montrant un peu plus d'égard à l'effort de standardisation.

Imaginez que les compteurs des tableaux de bord de voiture répondent à leur logique propre, en fonction de la marque ou du constructeur de la pièce. Difficile dans ces conditions d'établir des indicateurs fiables et comparables entre eux...

Mesure d'audience sur Internet

Quel avenir pour la discipline du Webanalytics ?

Par analogie, on observe des difficultés similaires à celles que rencontrent les intégrateurs vis à vis des navigateurs Web : l'interopérabilité n'est jamais totalement assurée. Dans le contexte du Web Analytics, cela débouche sur un problème global d'homogénéité des outils : on empile des briques sur une base vacillante et advienne que pourra. Par ailleurs, chaque acteur du secteur ayant ces intérêts propres, accessibilité et cohérence sont des notions de moins en moins reines. En définitive, on a créé un métier sur la base de contraintes techniques artificielles puisque imposées par le jeu incessant de la concurrence.

Dès lors, faut-il tendre à une simplification de la discipline ? Ne risque-t-on pas de la rendre abordable à tout un chacun, et les acteurs du Webmarketing le souhaitent-ils ? Ne serait-il pas plus pertinent de proposer une certification en Webanalytics aux experts plutôt qu'une certification en Google Analytics ou Omniture ? De la même manière qu'il est de plus en plus à la portée de chacun de lancer un sondage de grande ampleur sur la toile (mais bien plus difficile d'en assurer une analyse brillante), une simplification du Webanalytics entraînerait probablement un déplacement du domaine d'expertise : moins de préoccupations techniques en tout genre, et plus d'analyse. Pour l'instant, les agences Web sont coincées : les offres d'emploi oscillent entre l'obligation de recruter des profils "techniques" et la nécessité de s'entourer de profils "analytiques".

Il ne faut pas non plus perdre de vue que l'opacité, la complexité de fonctionnement et l'omniprésence des outils d'audience en ligne génèrent une crispation, voire une défiance à l'égard du webanalytics : le grand public souhaite de plus en plus avoir le choix d'être tracké (ou non), or Google n'hésite pas (beaucoup) à le lui donner. Preuve s'il en fallait que la base même de la discipline est vacillante et qu'elle se cherche de nouvelles solutions de récupération des données analytiques.

Et le W3C dans tout ça ?

Pour autant, n'exagérons rien. En tant que webmaster, il n'est pas vraiment insurmontable d'installer son tracker convenablement : il doit être au bon endroit, sur toutes les pages, installé qu'une seule fois et bien sûr, dans sa version à jour. Les choses se compliqueront peu à moins que vous souhaitiez mesurer votre empreinte dans les réseaux sociaux, l'audience d'une vidéo, ou suivre l'activité d'une boutique e-commerce.

Cet effort de standardisation permettrait de s'extirper de cette mode récente adoptée par les éditeurs de presse en ligne : ils sont en effet de plus en plus nombreux à redoubler d'imagination dans le but d'augmenter artificiellement leur nombre de pages vues. Il faut dire que l'enjeu est important et la tricherie parfaitement assumée : les annonceurs ne sont que très rarement armés pour savoir déjouer les bidonnages de statistiques.

Finalement, n'aurait-il pas été plus pertinent de laisser le consortium W3C s'entendre sur un standard garantissant la compatibilité des technologies Web Analytics ? N'aurait-il pas été plus logique de soumettre le problème de la mesure d'audience aux navigateurs Web ? Et quels sont les acteurs du Web (moteurs de recherche, réseaux sociaux, panels d'internautes, navigateurs Web...) les mieux capables d'assurer la pérennité de nos outils de mesure d'audience ?