10 conseils pour réussir un sondage HADOPI

À une époque où on peut se demander si aborder le sujet "HADOPI" ne serait pas devenu un juteux business model pour une presse du numérique en mal d'audience, il est intéressant d'observer une recrudescence d'enquêtes sur le sujet, réalisées avec une rigueur toute relative. C'est sur la base de ce constat que j'ai décidé de m'intéresser aux bonnes pratiques, et de prouver, une fois de plus, que les commanditaires ont décidément la main lourde lorsqu'il s'agit de lancer un sondage dans les règles de l'art. Florilège.

1 - Interroger des internautes

Un sondage consacré à HADOPI se doit d’être soumis à une population d’internautes, surtout s’il est question de l’impact qu’aura le projet de loi sur leur pratique de téléchargement. Or, ça n’a malheureusement pas toujours été le cas : souvenez vous de ce sondage du SNEP pour lequel avaient été interrogés des individus dont on ne savait ni s’ils étaient internautes, ni s’ils téléchargeaient. Plus récemment, ZDNet tombait lui aussi dans le panneau. Difficile dans ces conditions d’évaluer un éventuel renoncement au téléchargement illégal. Quand bien même les questions posées seraient les bonnes, cela conduirait inévitablement l'analyse dans l’impasse.

2 - Les interroger sur Internet

Par précaution, enfonçons des portes ouvertes : le meilleur moyen d’interroger des internautes est de les sonder sur Internet. Internet est aujourd’hui le mode de recueil souffrant le moins des biais inhérents à tout autre type de recueil : plus rapide que le face-à-face ou le postal, Internet favorise un contrôle total de l’échantillon, une couverture géographique illimitée et, contrairement au mode de recueil téléphonique, il engendre un échantillon qui n'est pas surreprésenté en personnes âgées (peu équipées). Et puis quoi de plus naturel que d’interroger les internautes sur leur support de prédilection ?

3 - Convenir d'une méthodologie sans faille

Aucune concession avec la méthodologie ne doit être consentie : c’est un point purement et simplement non négociable, financièrement ou techniquement. Bien sûr, "le conseilleur n'est pas l'acheteur". Mais tout sondage ou toute étude de marché se doit de reposer sur des bases saines : un ensemble de précautions constituant un postulat de départ inébranlable. L’analyse n’en sera que plus décomplexée et moins hésitante. Au delà du mode de recueil et de la cible interrogée, il est important de convenir de quotas représentatifs de la population qui nous intéresse (ici les internautes français) et surtout de faire en sorte que l’échantillon soit de bonne dimension (à minima un millier d'individus compte tenu des problématiques gravitant autour du téléchargement illégal).

4 - Utiliser le vocabulaire consacré

Lorsqu’on parle de téléchargement, il est important de bien se faire comprendre et il est donc primordial d’utiliser un vocabulaire précis et adapté. Newsgroups, streaming, direct download, peer-to-peer : aucun de ces termes n’est interchangeable et chacun d’eux correspond à une pratique bien spécifique de téléchargement, incluant des pratiques légales et/ou illégales. On évitera ainsi les contresens, les malentendus et autres imprécisions de tout poil. Autre point important : proscrire une bonne fois pour toute le champ lexical de la « piraterie » (et même du « piratage ») totalement inadapté au contexte, afin de s’assurer une crédibilité intacte.

5 - Ne pas laisser transparaître de parti pris

Il s’agit d’un biais dont les commanditaires de sondages d'opinion politique sont généralement coutumiers. Il s’explique généralement par l'intrusion d'un parti pris idéologique dans la formulation des questions de nature à inciter l'interviewé à répondre d'une certaine manière. Ce parti pris sémantique se matérialise par l'utilisation d'un vocabulaire orienté, néfaste pour l'objectivité de l'analyse. Il est donc important de rester factuel, et aussi d'exclure les sous-entendus. Il s’agit d’autant plus d’une précaution à prendre lorsque le sujet abordé est de nature à lancer une polémique (comme c’est d'ailleurs le cas avec HADOPI). Par exemple, trop insister sur les bienfaits potentiels de la Haute Autorité serait assurément contre productif.

6 - S'affranchir de ses préjugés, sans ironie

Que cela soit dans le cadre de la création du questionnaire ou dans celui de l’analyse, il est important de dépasser ses certitudes. Mais comme toujours, les préjugés ont la vie dure : difficile de faire admettre que les jeunes générations achètent plus de musique sur Internet que la moyenne des français, même si une enquête ministérielle le laissait transparaître en 2008. Un autre exemple : alors que Christine Albanel serinait que la France était championne du monde du téléchargement illégal, un sondage IPSOS de septembre 2009 prouvait le contraire. Ou encore : il peut être utile de rappeler que le peer-to-peer n'est pas une technologie illégale etc... Pensez donc à soigner votre crédibilité !

7 - Admettre que le grand public ne pense pas forcément comme soi

Le dépouillement des sondages livre bien souvent son lot de surprise. Car, c’est humain, nous avons parfois tendance à anticiper les résultats d’une question au moment de son élaboration. Qu’on soit opposant ou pro-HADOPI, c’est en restant campé sur ses positions, pétri de certitudes, qu’on risque d'insérer un biais dans l’analyse. Il faut admettre que la majorité des interviewés ne pensent pas forcément comme soi. Si les sondés se disent convaincus par HADOPI et si vous avez foi en l'imperfectible méthodologie de votre sondage, alors il sera malvenu de contester la véracité des résultats.

8 - Prêcher le faux pour obtenir le vrai

Pour démêler les sujets complexes, il est parfois profitable pour l'analyse de prêcher le faux pour obtenir le vrai. Quelques exemples : les plates-formes de téléchargement légales sont-elles forcément payantes ? Les plates-formes de téléchargement gratuites sont-elles forcément illégales ? Avec un firewall, la sécurisation de ma connexion Internet est-elle suffisante ? D'autre part, plutôt que de demander aux internautes, de but en blanc, "téléchargez vous illégalement ?", il peut être instructif de les interroger sur les pratiques des français dans leur ensemble : ils vont pouvoir se désengager de leurs pratiques propres et aborder le sujet avec un certain recul déculpabilisant. Il serait d'ailleurs tout à fait intéressant de comparer le pourcentage d'internautes déclarant télécharger illégalement au pourcentage d'internautes pensant que les français dans leur ensemble téléchargent illégalement.

9 - Le sondage est un instantané photographique de l'opinion

Les opinions, les comportements, les pratiques ne sont pas immuables : ce qui était vrai hier ne le sera peut-être plus aujourd'hui ou demain. C'est pourquoi il convient de rester vigilant au moment de l'analyse, notamment en prenant soin de ne pas tirer de conclusions trop hâtives ou catégoriques. Si le sondage se déroule en plusieurs phases ou s'il s'agit d'un baromètre, alors l'analyse s'en trouvera enrichit puisqu'il devient possible d'observer des variations de tendance et d'établir des rapports de causalité entre une décision et un changement de comportement, en particulier dans le domaine des technologies Internet où tout va beaucoup plus vite.

10 - Un sondage HADOPI ne devrait pas avoir pour vocation de "rassurer"

Il sert avant tout à mesurer un état et à dresser le panorama d'une situation. Il s'inscrit dans l'action et se révèle inutile dans l'immobilisme : le sondage facilite la détection des dysfonctionnements et des inefficacités, tout en dévoilant les incompréhensions, les doutes et les attentes. Le sondage n'est pas une fin en soi, bien au contraire : il est un point de départ.