Imaginez que nous puissions, en France, avoir accès aux montants des revenus de chacun. Imaginez que votre propriétaire, vos voisins ou vos collègues de bureau sachent à combien s'élève votre patrimoine. Imaginez encore qu'à partir de vos nom, prénom et année de naissance, n'importe qui soit en mesure de connaître dans quelle région et pour le compte de quelle ville vous payez vos impôts. Et bien, figurez-vous qu'en Norvège tout ceci est réalité.

Ce sont des sites comme vg.no, kjendis.no ou nrk.no qui rendent toutes ces informations publiques sur Internet (il existe même une application iPhone pour ça). Au passage, il est difficile d'imaginer l'ampleur du scandale que susciterait la publication de ce type d'information en France (pour s'en convaincre, il suffit de regarder ce que renvoie la requête "salaire+tabou+France" dans Google). D'ailleurs, il me paraît pertinent de rapprocher cette pratique norvégienne du classement mondial 2009 (animation flash) établi par Transparency International des pays dont la perception visible de la corruption est la plus faible : la Norvège est 11ème (on retrouve par ailleurs la Finlande, la Suède, l'Islande et le Danemark dans le Top 10) tandis que la France est 24ème.

En France, en se promenant un peu sur la toile, on constate que trois arguments en particulier viennent étayer un éventail conséquent de contre-indications vis-à-vis de l'éventuelle publication de nos revenus :

• pour commencer, il n'est pas rare de lire que dans un pays où il est monnaie courante de convoiter ce que possèdent les autres, il ne serait pas très sein de créer un énième motif de jalousie. Exhiber ce qu'on gagne, reviendrait en réalité à se mettre en rivalité avec les autres en se plaçant sur une échelle sociale plutôt malsaine. On précise même que c'est la tradition protestante qui pousse à autant de transparence.
• d'autres pensent que cela peut certes susciter la convoitise mais potentiellement jusqu'à être un point d'ancrage pour les criminels qui seront aidés dans leurs activités. C'est visiblement le point de vue défendu par l'équivalent norvégien de notre Front National qui veut se débarrasser de ces classements.
• il paraît somme toute probable qu'un système fonctionnant pour moins de 5 millions d'habitants ne sera pas forcément d'une redoutable efficacité pour une population de 65 millions d'habitants. Mais pour nuancer le propos, on peut tout de même rappeler que les déclarations d'impôts sont consultables en France, même si cela induit une démarche compliquée et relativement mal vue.

A contrario, une poignée d'arguments prônent en faveur de la publication des revenus :

• on entend dire par exemple que cela éviterait que des entreprises payent à compétence et expérience équivalentes des salaires très disparates... Cette transparence serait une première étape vers l'égalité des sexes et l'abolition des discriminations dont certains dirigeants sont friands. Cela permettrait également de constater l'ironie du discours d'un politicien plein aux as qui invite ses concitoyens à se serrer la ceinture.
• le revenu publié sur ces sites norvégiens ne correspond pas exactement au véritable revenu perçu : il s'agit en réalité du revenu, moins ce qui est déductible des impôts. Idem pour le patrimoine correspondant au patrimoine, moins les dettes.
• ce système permet d'éviter la corruption et toutes activités illégales. Les norvégiens sont en effet très fortement sensibilisés contre la corruption puisqu'il ne doivent pas hésiter à dénoncer. Ils ne prennent pas cela pour de la délation : il est juste extrêmement mal vu de profiter du système (contrairement aux français qui entretiennent avec application une certaine culture de son contournement).

Voici quelques pages de statistiques relatives au patrimoine de Jens Stoltenberg (chef du gouvernement norvégien) :

Pour finir, sachez que selon les sites proposant ces skattelisters, les options de tri et les statistiques proposées diffèrent. Par exemple, dans ce dernier extrait, on voit que le montant des revenus ou des impôts sont convertis en équivalent de dépenses publiques : mètres de voie ferrée, minutes de vol de F16, soldats en Afghanistan, secondes d'Eurovision, kilomètres carrés de forêt tropicale protégée etc... Sur d'autres sites, il est possible de comparer, de trier les patrimoines en fonction de l'année de naissance de son propriétaire, de sa ville ou de son code postal.