Lors de chaque second tour d'élection présidentielle, le nombre d'inscrits, de votants et d'exprimés fournissent une myriade d'enseignements, parfois bien plus concrets que les habituels taux d'abstention et suffrages obtenus par les deux derniers candidats en lice. Plus qu'un simple résultat de scrutin, le triptyque inscrits / votants / exprimés permet de dresser un profil spécifique à chaque élection. Or, si le nombre d'inscrits, de votants et d'exprimés permettent, certes, de déduire le taux d'abstention et le taux de votes blancs ou nuls, ces données ne sont en revanche jamais rapprochées des suffrages des candidats. Sans remettre en cause le fonctionnement du suffrage universel direct à deux tours qui s'applique aux élections présidentielles en France, il est intéressant de tester les scores des candidats en les confrontant à l'ensemble des votants ou des inscrits.

Cet angle d'analyse offre une perspective plus globale sur les conditions d'élection du Président de la République : cela pose la question de sa légitimité à l'échelle de la France toute entière. Il permet d'établir dans quelle mesure le vainqueur a été plutôt "bien" ou "mal" élu, sans pour autant remettre en question ses qualités, son efficacité et la faisabilité de sa politique (laquelle est également assez conditionnée par le score de la majorité aux élections législatives). Lorsque, à l'époque, les médias se sont appesantis sur le taux "record" de votes blancs ou nuls (en se trompant d'ailleurs, puisque le record concerne le nombre en valeur absolue - et non le taux - de votes blancs ou nuls), ils n'ont fait qu'effleurer le problème de la fragile légitimité des présidents élus par moins de la moitié des votants.

Des taux d'abstention et de votes blancs ou nuls parmi les plus élevés de la Ve République

Commençons les comparaisons : bien que le nombre d'inscrits soit en progression constante depuis 1965, il apparaît que ce n'est pas le cas du nombre de votants aux scrutins présidentiels du second tour dont l'évolution indique des baisses en 1969, 1995 et 2012 : elles s'expliquent par une progression plus forte du nombre d'abstentionnistes que du nombre d'inscrits. Ainsi, en 2012, malgré une augmentation du nombre d'inscrits (simple reflet de la croissance démographique), on n'enregistre pas pour autant un nombre de votants, d'abstentionnistes ou d'exprimés record.

En proportion, même constatation : sur les 9 scrutins de second tour des élections présidentielles de la Ve République, le taux d'abstention de 2012 se classe à la 4ème place (devant 1969, 1995 et 2002), et le taux de votes blancs ou nuls, à la 3ème place (devant 1969 et 1995). On retiendra que ces scores figurent tout de même parmi les plus élevés : le taux d'abstention de 2012 est par exemple 3,62 points au dessus du précédent, en 2007.

Au regard de cette première série d'observations, on peut dire que François Hollande n'a, en tout cas, pas été plus "mal élu" que Georges Pompidou (1969) ou Jacques Chirac (1995). Bien que l'analyse soit basée sur des chiffres de scrutins comparables entre eux, il convient de rappeler que chaque élection a ses spécificités liées au contexte social ou aux partis politiques en lice : par exemple, en 1969 et 2002, le second tour opposait deux partis de droite (dont un parti de centre droit en 1969 et un parti d'extrême droite en 2002), tandis qu'en 2007, le faible taux d'abstention était justement la conséquence de 2002 et de la campagne d'incitation au "vote utile".

De l'importance du taux de votes blanc et du taux d'abstention

La part des suffrages des deux candidats s'opposant au second tour est calculée sur la base de l'ensemble des suffrages exprimés : ça, c'est le système retenu en France pour établir les scores du second tour et déterminer le nouveau Président de la République. Mais supposons maintenant que la part des suffrages soit calculée non pas sur les "exprimés" mais sur les "votants" (en incluant les votes blancs ou nuls) ou les "inscrits" (en incluant les abstentionnistes).

Calculés sur la base des exprimés, les suffrages de l'ensemble des élus à l'issue du second tour correspondent aux chiffres officiels, ceux habituellement communiqués. Bien que les 82,11% de Jacques Chirac (2002) et les 58,21% (1969) de Georges Pompidou constituent des cas particuliers (compte tenu des candidats qualifiés au second tour représentant à chaque fois deux partis de droite), toutes les autres élections présidentielles voient son vainqueur récolter entre 50,81% (1974) et 55,20% (1965) des suffrages.

En revanche, calculés sur la base des votants, les résultats montrent tout l'impact des votes blancs ou nuls. Ainsi, seules deux élections ont consacrés des Présidents de la République n'obtenant pas la majorité absolue dans ce contexte : Jacques Chirac en 1995 (49,50%) et François Hollande en 2012 (48,63%). De quoi alimenter l'argumentaire des défenseurs du vote blanc qui souhaitent, d'une part, que la distinction soit faite entre le vote blanc et le vote nul, et d'autre part, que le vote blanc puisse être comptabilisé dans le total des "exprimés".

Enfin, calculée sur la base des inscrits, seule l'élection de Jacques Chirac en 2002 a consacré un président avec plus de 50% des suffrages (62,00%). En revanche, trois élections consacrent un président avec les suffrages de moins de 40% des inscrits : François Hollande en 2012 (39,08%), Jacques Chirac en 1995 (39,43%) et Georges Pompidou en 1965 (37,51%).

François Hollande, un des présidents les "moins bien élus"

Bien qu'il s'agisse de circonstance particulière, la réélection de Jacques Chirac en 2002 consacre, et de loin, le Président de la République le "mieux élu" de la Ve République (82,21% des suffrages exprimés, 77,78% des votants, 62,00% des inscrits).

Inversement, Valéry Giscard-d'Estaing est celui ayant réuni le moins de suffrages exprimés en 1974 (50,81%), tandis qu'en 1969, Georges Pompidou, du fait d'un taux d'abstention très élevé (31,15%), devient le Président de la République le "moins bien élu" par rapport au nombre d'inscrits (37,51%). Enfin, François Hollande est le Président de la République le "moins bien élu" par rapport au nombre de votants (48,63%).

Bien sûr, toutes ces considérations sont uniquement virtuelles, puisque seuls les résultats calculés sur la base des suffrages exprimés comptent. Pour appréhender l'ampleur de la légitimité de l'élection d'un Président de la République, il faudrait également observer l'issue de chaque élection législative et les rapports de force installés au sein de l'hémicycle.